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à notre âge classique, catholique et monarchique. Il a fait voir qu’entre l’esprit ancien et l’esprit nouveau il n’y avait pas de lacune, pas de faille ou de solution de continuité, que, si la révolution avait deux parens, l’un d’eux était l’esprit classique.

On n’a pas oublié cet ingénieux système, inspiré des lois de la chimie moderne : selon M. Taine, il y a un poison dans la philosophie du XVIIIe siècle comme dans la révolution, poison étrange « dont les principaux ingrédiens ont cela de particulier qu’étant séparés, ils sont salutaires et qu’étant combinés ils font un composé vénéneux. » Ces deux ingrédiens, ce sont l’acquis scientifique et l’esprit classique. Peut-être aurait-on le droit d’objecter que, si ces deux élémens, excellens en eux-mêmes, ont produit des effets funestes, ce n’est pas tant par leur combinaison que par leur application à un domaine étranger où ils n’avaient que faire, par leur intrusion dans la politique et la sociologie, pour nous servir d’un de ces termes d’école, redevenus à la mode dans notre âge pédantesque. En modifiant légèrement la thèse, nous dirions d’une façon plus générale, mais moins neuve et moins frappante, que l’esprit scientifique et l’esprit littéraire sont, dans leur opposition même, également impropres à la politique, que le savant et l’homme de lettres y apportent d’ordinaire des méthodes, des points de vue, des tendances presque également dangereuses; et cela, en fait, reviendrait simplement à dire que la politique et les sciences sociales ont leur méthode propre, aussi bien que leur domaine particulier, qu’elles exigent non-seulement des connaissances spéciales, mais des aptitudes ou des habitudes d’esprit, également étrangères au géomètre et au poète, au naturaliste et au littérateur. L’un des malheurs de la révolution est d’avoir été faite par des hommes sans éducation politique, dominés par l’esprit littéraire ou l’esprit scientifique, souvent même par un bizarre alliage des deux, et croyant de bonne foi tout résoudre avec des généralités oratoires ou des formules mathématiques. Mais n’insistons pas, revenons à la terminologie et à l’explication de M. Taine, laquelle, pour sembler un peu subtile, n’en a pas moins presque autant de vérité que de nouveauté.

Selon lui, « l’esprit classique » est la forme fixe de l’esprit français, la structure de notre œil intérieur, et c’est cette forme d’intelligence qui, appliquée à « l’acquis scientifique, » a produit la philosophie du dernier siècle et la révolution. Qu’entend M. Taine par l’esprit classique? Est-ce, comme quelque naïf lecteur pourrait être tenté de le croire, l’influence de l’antiquité, les souvenirs de la Grèce ou de Rome? Nullement, bien que l’antiquité ait pu contribuer à la formation de ce moderne esprit classique. Il n’y a là rien de commun avec les vues de Bastiat, dans son pamphlet sur le Baccalauréat et le Socialisme.