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autres, quand vous faites un sonnet. » Ainsi que l’on a vu le Comte Ory servir à la Korrigane de lever de rideau, le Barbier de Séville accompagnera sur l’affiche le nouveau ballet. Il ne faut jurer de rien, mais qui sait ? peut-être que cette reprise sera la cause de bien des étonnemens. Se figure-t-on, en effet, quelle stupéfaction dans le camp ultra-germanique si le public allait se laisser ressaisir de goût pour cette vieillerie, que dis-je ? pour cette ineptie d’un ménétrier de pacotille dont rougit la Polymnie moderne ! Bah ! l’aventure avait son charme ; et quand elle réussirait, où serait le péril ? Un retour offensif du rossinisme n’est point à redouter, je suppose. Honni soit donc qui mal y pense, et laissons les choses aller leur train sans nous boursoufler de colère bleue pour quelques crescendos de plus ou de moins !

Les concerts nous reviennent, et tous les rossignols de l’hiver sont au bois. Aux dimanches du Conservatoire, de Colonne et de Pasdeloup vont se joindre maintenant les dimanches de Lamoureux : un intrépide, celui-là, que nous aimons toujours à retrouver, car partout où vous le voyez, vous pouvez être sûr que s’agite une question d’art. Désormais, c’est l’idée d’un théâtre lyrique qui le travaille, et pour mieux s’y dévouer, il a pris position au Château-d’Eau, guettant son heure et tuant le temps en jouant des symphonies et des ouvertures. Les Concerts nouveaux ne font que débuter et déjà l’orchestre de M. Lamoureux est hors de pair ; impossible d’enlever avec plus de bravoure les ouvertures du Vaisseau fantôme et d’Oberon et d’interpréter, de nuancer avec un art plus délicat la première partie de cette aimable symphonie de M. Gouvy, qu’un sourire de Mozart semble conserver, car elle date bien d’une vingtaine d’années. Valeureux et plein de fougue, ce jeune et très jeune orchestre est discipliné comme une vieille troupe ; ceux-là vous le diront, qui l’ont à deux reprises entendu accompagner M. Delsart dans le concertino et dans l’aria de Bach. Depuis Servais, roi des violoncellistes, M. Delsart est le violoncelliste qui tient non pas le sceptre, mais l’archet. Sonorité, pathétique, sobriété, il a ce qui distingue les maîtres ; peut-être abuse-t il un peu du vibrato, mais quel violoncelliste y résisterait ? et comment, une fois ému, ne point s’abandonner aux délices de la glissade ? Rappelons, en passant, à M. Delsart que le trille de Bach doit commencer par la note supplémentaire et non par la note réelle. Jamais Bach ni son fils Charles-Emmanuel ne commencent un trille sur ut par l’ut même ; c’est la note qui, comme note fausse, en dehors de l’harmonie, reçoit l’accent. M. Delsart connaît l’âme de son instrument, qui répond à tout ce qu’il lui demande en fait de pathétique ; il possède aussi le talent d’entraîner un orchestre dans son mouvement passionnel et de s’emparer du public par les bons moyens.

À vrai dire, le musicien qui profite le plus de ce régime de vulgarisation universelle, c’est Richard Wagner. Les autres ont beau