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l’affirmer. Il a senti du moins, si j’en crois son air de réserve en de certains passages, que ce drame, par quelque bout, dépassait son entendement. Mais ces personnages symboliques, à faces de héros, s’ils n’ont pas l’infinie souplesse et la variété de mouvemens d’êtres humains, peuvent être confrontés par l’auteur en des attitudes simples et grandioses, et par là, s’ils n’ont pas, à proprement dire, la vie dramatique, ils ont l’aspect scénique; de même, leur langage, s’il ne se prête pas à traduire l’insensible suite des idées et des passions, est cependant théâtral : et voilà comment ce drame qui n’est pas un drame offre néanmoins un spectacle attachant. M. Meurice, comme on voit, n’a point essayé de transformer ces grandes figures en hommes; il s’est contenté de découper, avec beaucoup de prudence et d’art, une série de tableaux pour servir à l’illustration du roman. Presque toujours, il a conservé comme légende le dialogue du livre, sans le développer ni l’enfler en de plus longs discours. Il a supprimé le contexte, et j’entends par là non-seulement les épisodes impropres à la scène, — comme celui de la caronade échappée dans l’entrepont du navire, — non-seulement ce fatras de détails historiques dont le poète alourdit, pour les rattacher à la terre, ses plus chimériques créations, et cette foison d’axiomes ou digressions mystiques où volontiers il se perd; mais encore jusqu’à ces chapitres où il donne tellement quellement l’explication de ses personnages et de leurs actes, et le plus subtil, au demeurant, de cette poétique qui lui tient lieu de psychologie. Telle page du livre intitulé : « Cimourdain » ou « Gauvain pensif, » jette sur le héros ou sur sa conduite un peu d’une lumière qui n’est pas toute surnaturelle; nous apercevons les racines de ses idées ou de ses volontés, posées, il est vrai, et entrelacées de la sorte par un artifice de l’auteur plutôt que par la nature, mais qui, cependant, suffisent à justifier logiquement cette végétation morale. Rien de tel dans le drame ou peu de chose : tout s’y passe à fleur d’âme; nous n’y voyons que des actes coupés de leurs mobiles, et comme une pantomime dont le poème nous échappe. Mais ces gestes, du moins, sont grands et souvent beaux.

Est-ce à dire que le public se contenterait volontiers de ce genre d’intérêt s’il n’était averti par le grand nom de l’auteur qu’il doit y prendre garde et le tenir pour suffisant à défaut d’autre? Est-ce à dire que le drame puisse n’être qu’un assemblage d’abstractions ou de poses, une moralité ou un spectacle, et que nous renoncions, de ce coup, à nos plus chères doctrines? Non, non; ce que nous demandons au théâtre et ce que le public y cherche, même le plus grossier et même à son insu, n’en doutez pas, c’est la personne humaine. Voilà pourquoi nous écoutons avec tant de joie la faconde soldatesque du sergent Radoub, ce grenadier bonhomme, qui n’est pas bien original, mais qui ne représente du moins aucune idée pure et gesticule à la façon du premier faubourien venu plutôt que de prendre des attitudes de demi-dieu