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dépense, écrivait Belle-Isle, voyant de loin et d’avance le nuage qui allait passer sur le front du cardinal, mais il n’y en aura pas de mieux placée si nous faisons l’électeur de Bavière empereur[1]. « 

Des amis de la reine, le découragement qui, de sa nature, est contagieux, se communiquait même à ses sujets. Vienne en particulier, s’attendant à être attaquée d’heure en heure, était dans la consternation. Le peuple s’ameutait dans les rues, les riches et les nobles prenaient la fuite. Le Danube était couvert de caisses pleines d’objets précieux qu’on se hâtait de mettre en sûreté. La crainte même, si on en croit le rapport du chargé d’affaires français, ébranlait la fidélité de cette capitale, qui paraissait redouter l’extrémité d’un siège. On commençait à dire de nouveau, assez couramment, qu’après tout, c’était pour élever le grand-duc à l’empire qu’on courait de tels périls et qu’il était dur de souffrir ainsi pour un étranger. — « Les discours qu’on tenait naguère contre l’électeur de Bavière et contre la nation française, écrit le chargé d’affaires, Vincent, à peu près vers cette date, ont entièrement cessé. Il semble que les gens de qualité, du moins ceux qui sont restés ici, ont adopté à cet égard les sentimens du peuple. Plusieurs de ceux-là ne font pas difficulté de dire qu’ils ne manqueront pas de maître et que toute domination leur est égale, pourvu que ce ne soit pas celle du grand-duc, qui est la cause de tous les malheurs publics[2]. »

Ce qui rendait plus facile la propagation de ces sentimens de faiblesse, c’était que la princesse, dont la seule présence exerçait sur les populations un charme tout-puissant, n’était plus là pour les contenir. Avant même le retour de Robinson du camp prussien, Marie-Thérèse avait dû quitter Vienne avec son époux, se dirigeant vers la Hongrie, moins pour mettre sa personne en sûreté, comme on le raconte ordinairement, que pour prendre, avec solennité, possession de la couronne dont elle portait le titre. Cette retraite de Marie-Thérèse en Hongrie est, on le sait, de tous les incidens de cette noble vie, celui qui fit le plus d’impression sur ses contemporains et qui a laissé la trace la plus touchante dans la mémoire de la postérité. Les détails nouveaux que nous devons à M. d’Arneth donnent à cette scène historique un aspect un peu différent de la tradition populaire, mais qui, pour être plus original, n’en est pas pour cela moins dramatique.

La démarche elle-même ne manquait point de hardiesse, car rien n’était moins assuré que l’abri qu’allait chercher dans cette contrée

  1. Belle-Isle à Amelot, 23 août 1741. (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Vincent à Amelot, 26 affût 1741. (Correspondance de Vienne. — Ministère des affaires étrangères.)