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roussis au souffle de l’hiver, que les Perses, guidés par Aphialtès, fils d’Eurydème, ont mis en fuite les mille Phocidiens ; c’est par là, poussant les feuilles mortes sous leurs pieds, qu’ils descendirent pour prendre les Spartiates à revers. On voit où se tenaient Léonidas et les siens; on reconnaît la basse colline derrière laquelle ils s’abritaient. Les Thermopyles ne sont point un défilé; c’est un pas, un étroit sentier saisi entre la montagne et un marais qui jadis fut la mer. Quand les Perses reculaient, les satrapes les frappaient à coups de fouet et ils tombaient dans les flots. Pas de rochers, pas de convulsions de terrain; une nature calme et neutre; des judelles barbotaient à travers les joncs, le moulin faisait tic-tac, un troupeau de chèvres était suspendu aux premières pentes de l’OEta ; vers le nord, on apercevait les murailles de Zeïtuni et au-delà du golfe la cime des montagnes de Négrepont. Flaubert était plein de joie, il criait : « Passant! va dire à Sparte... » Il me disait : « Comment se fait-il que ce petit combat domine toutes les batailles, toutes les tueries de l’antiquité? Ce fut une affaire d’avant-garde comme il y en eut tant. Pourquoi ces Spartiates ont-ils été des héros? C’étaient trois cents bourgeois, trois cents gardes nationaux qui avaient quitté leurs boutiques et qui vinrent ici parce que c’était leur tour de service ; ils sont tous morts parce qu’ils étaient attaqués par derrière et par devant et qu’ils ne pouvaient fuir ni à gauche ni à droite. Quel beau récit on pourrait faire ! » L’envie d’écrire le combat des Thermopyles le tourmenta souvent, et, s’il eût vécu, c’est probablement ce qu’il eût entrepris après avoir terminé Bouvard et Pécuchet.

Nous quittâmes les Thermopyles pour aller coucher à Molos; c’était le 9 janvier; le temps avait été magnifique depuis notre départ d’Athènes ; le soleil était tiède et le ciel avait des sourires bleus qui étaient charmans. Le 10, à Chéronée, où nous eûmes grand’peine à protéger un rapsode aveugle contre des chiens qui attaquaient ses haillons, la soirée fut assombrie par des nuages peu rassurans ; les coqs ne chantèrent pas ; au matin, la pluie tombait. Nous réussîmes à gagner Livadia ; les agogiates déclarèrent qu’ils n’iraient pas plus loin. Le 12, il y eut une embellie aux premières heures du jour; nous en profitâmes pour sauter en selle et nous partîmes précédés par un gendarme d’escorte, car nous comptions aller prendre gîte au khani de Casa, qui est à Éleuthère, et nous avions à traverser le Cithéron, dont la réputation n’est pas irréprochable. Nos chevaux n’étaient point mauvais ; nous marchions bon pas; l’étape devait être longue, et nous ne nous attardions pas à attendre le bagage, qui lentement venait derrière nous. Nous déjeunâmes au khani de Sulinari et, malgré quelques ondées, nous n’avions pas ralenti notre allure. Dans l’après-midi, la