Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nul n’est tenu d’être magnanime, les Russes, s’ils se fussent souciés de Vattel en 1812 et en 1813, eussent pu, sans nul doute, invoquer son témoignage lorsqu’ils firent, à cette époque, transporter en Sibérie comme des criminels un grand nombre de prisonniers français. Il est peu de questions sur lesquelles on ait obtenu, dans la seconde moitié du XIXe siècle, un progrès plus décisif. Ce fut le gouvernement français qui, cette fois, donna le signal en publiant dans son journal officiel militaire, le 6 mai 1859, un très bon règlement « pour la direction, la police et le placement des prisonniers. » Le sort des prisonniers sur parole fut dès lors adouci ; ils purent correspondre librement avec leurs compatriotes qui se trouvaient sur notre territoire, le ministère de la guerre se réservant de vérifier les lettres qui leur venaient de l’étranger ou qu’ils adressaient à l’étranger; on leur permit de conserver leurs « ordonnances ; » ils eurent même la faculté de s’absenter, avec certaines autorisations, de la ville qui leur aurait été assignée pour résidence. Non-seulement tous les prisonniers de guerre durent être traités « avec les égards que comporteraient leur position et leur conduite, » mais on leur affectait une solde, dite « de station, » qu’un tarif annexé au règlement fixe à 7 cent. 1/2 par jour pour les sous-officiers ou les soldats et porte à 4,000 francs par an pour les généraux de division ; on décidait qu’ils seraient traités et conduits en route « comme des recrues; » on allait jusqu’à leur laisser le tabac de cantine aux mêmes conditions que s’ils étaient sous nos drapeaux. Quelques années plus tard, Bluntschli devait enseigner que l’état peut astreindre les prisonniers de guerre à certains travaux, afin de se rembourser des dépenses faites pour leur entretien. La France avait montré plus de désintéressement, et c’est à un autre point de vue qu’elle envisage le labeur de ses prisonniers. Le ministre de la guerre, d’après le règlement de 1859, ne permet de les employer à des travaux publics que si le ministre dans les attributions spéciales duquel rentrent ces travaux lui a fait connaître d’abord « la nature et le mode de distribution du traitement qui sera alloué en totalité sur les fonds de son ministère » à ces prisonniers. Les particuliers qui veulent les employer dans l’agriculture ou dans l’industrie doivent leur fournir non-seulement le logement, la nourriture, les outils et une blouse, mais encore une allocation journalière (de 40 cent, au moins, autant que possible) à titre de centimes de poche. Enfin les préfets veillent à ce qu’une portion du produit de ce travail soit mise en réserve pour former aux prisonniers « une masse individuelle qui restera leur propriété. » Ce règlement fait honneur au gouvernement français, et nous devions d’autant moins le passer sous silence que la plupart des publicistes contemporains ne le mentionnent pas, ou, s’ils le mentionnent, n’en font pas ressortir