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la valeur de ce qui nous est dû ou pour châtier l’ennemi, » et la marge est déjà belle ; mais le « droit des gens, » qui le croirait? « va plus loin, » car, selon ce dernier droit, « non-seulement ceux qui ont pris les armes pour un juste sujet, mais encore ceux qui font la guerre dans les formes acquièrent la propriété de ce qu’ils ont pris à l’ennemi, et cela sans règle ni mesure. » Toutefois les Romains voulaient bien laisser quelquefois, « par honnêteté, » une partie des immeubles à l’ancien maître ; mais, quant aux choses mobilières, « l’honnêteté » même ne commande plus, paraît-il, cet excès de désintéressement et « ce qui est pris est à chacun qui l’a pris. » Voici maintenant le langage des Instructions américaines : « Les États-Unis reconnaissent et protègent, dans les contrées ennemies occupées par eux, les propriétés privées... Cette déclaration ne me point obstacle au droit qu’a l’envahisseur victorieux de faire servir temporairement les propriétés à des usages militaires... Une propriété privée, si elle n’est pas confisquée pour crimes ou délits commis par le propriétaire, ne peut être saisie que pour les besoins de l’armée des États-Unis. » Telle est, en effet, la règle incontestée du droit moderne, et Bluntschli se plaît à constater que, même durant la guerre franco-allemande, pris en grand, ce devoir a été rempli par l’armée prussienne. Mais si l’on s’accorde sur le principe, on se divise encore aujourd’hui sur les conséquences.

Martens, en 1785, admettait qu’un belligérant pût, dans des circonstances extraordinaires, livrer une ville au pillage. Pinheiro Ferreira, qui l’annota en 1845, n’eut pas de peine à démontrer qu’une telle doctrine heurtait les principes fondamentaux du droit public et menait aux pires conséquences. Cependant un publiciste distingué de l’Amérique méridionale, Halleck, l’adopta franchement, il y a vingt ans à peine, et soutint que le pillage était légitime toutes les fois qu’il devenait indispensable de recourir à des procédés extrêmes pour châtier certaines infractions aux lois de la guerre ou pour en découvrir les auteurs. Quelles infractions ? Où s’arrêter? Quelle est la guerre où le droit de la guerre ne soit pas un moment enfreint? Où trouver un belligérant assez calme pour ne pas s’exagérer la gravité de semblables fautes? Il sera trop facile, en vérité, de découvrir, avant et après le pillage, un grief qui l’explique, et quand un gouvernement, après examen, désavouerait ses généraux, la ville n’en aurait pas moins été pillée. Bluntschli, tout en flétrissant les pillards, paraît croire que la question du pillage après l’assaut est une de celles qui, dans la pratique, pourraient être encore débattues. Le débat n’est plus possible. Les États-Unis, en 1863, ont puni de mort tout pillage ou saccagement, a même après l’assaut d’une place, » et décidé que tout soldat s’obstinant à piller malgré l’injonction qu’il aurait reçue pourrait être légalement tué par ses