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rencontre : encore faut-il qu’il la puisse atteindre. Or, le neutre n’ayant pas rompu sa neutralité, son navire reste inviolable comme le territoire même qu’il prolonge, et la juridiction de ce belligérant ne saurait s’y exercer. C’est ce que n’avait pas admis le Consulat de la mer et ce que ne comprirent pas même des publicistes presque contemporains, tels qu’Azuni et Lampredi. De 1642 à 1780, quinze traités consacrent encore la pratique du moyen âge. L’Angleterre l’avait abandonnée, au moins dans ses rapports avec l’Espagne, la Hollande et la France, quand elle signa le traité d’Utrecht; mais elle la ressaisit et l’appliqua presque sans interruption jusqu’en 1856. La France, après quelques tâtonnemens, fit au contraire passer dans son règlement de 1778 la maxime: «Navires libres, marchandises libres » et lutta presque sans interruption jusqu’à la même époque pour la faire prévaloir. Quand elle fut attaquée, en 1857 et en 1877, à la chambre des communes, le gouvernement anglais la défendit, et, dans la seconde de ces discussions, le sous-secrétaire d’état Bourke ne manqua pas de faire ressortir le grand avantage qu’avait l’Angleterre, puissance amie de la neutralité, à ne pas laisser les belligérans arrêter et visiter ses bâtimens neutres dispersés sur toutes les mers sous prétexte d’y rechercher des marchandises ennemies. Les publicistes et les tribunaux des États-Unis ont presque invariablement adopté sur ce point l’œuvre de 1856, et l’Espagne, qui avait inscrit dans sept traités conclus en 1839 la nouvelle règle internationale, ne s’en est pas départie. Voilà donc un progrès irrécusable consacré par l’assentiment universel des peuples civilisés.

Enfin le congrès de Paris déclara que la marchandise neutre, à l’exception de la contrebande de guerre, est insaisissable même sous pavillon ennemi. Il y avait eu, sur ce point, un véritable mouvement de recul. Cette règle était celle du moyen âge, ainsi que l’attestent non-seulement un chapitre du Consulat de la mer, mais une série de traités conclus au XIIIe et au XIVe siècles entre diverses puissances maritimes. Mais notre ordonnance de 1681, le règlement espagnol de 1779, des traités conclus au XIXe siècle par les États-Unis avec plusieurs états de l’Amérique du Sud consacraient la doctrine opposée, tandis que les conseils des prises d’Angleterre, de Hollande, d’Italie reconnaissaient l’insaisissabilité de la marchandise neutre, que la cour suprême des États-Unis appliquait elle-même ce principe, « comme faisant partie du droit du pays, » toutes les fois qu’il n’y était pas dérogé par un pacte formel. Il importait de mettre un terme à ces contradictions. Or il est évident que la propriété neutre, objet d’un trafic inoffensif, échappe par elle-même à la confiscation. Pourquoi donc le pavillon belligérant lui communiquerait-il un caractère hostile? Est-ce que la marchandise neutre est l’accessoire du bâtiment ennemi? Est-ce que le neutre a violé