Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une de ses obligations? S’il pouvait confier cette marchandise au territoire, il a pu la placer sur le navire d’un des belligérans. Elle devait être, elle est désormais inviolable dans un cas comme dans l’autre.

Puisqu’aucun pavillon ne couvre la contrebande de guerre, il fallait que les belligérans, même après avoir constaté la neutralité des bâtimens rencontrés en pleine mer, pussent encore vérifier la nature de la cargaison. De là le droit de visite en temps de guerre, dont la légitimité n’est pas contestable. Mais ce droit pouvait-il subsister en temps de paix, alors qu’il ne sert à réprimer ni la contrebande de guerre, puisqu’il n’y a pas de guerre, ni même la contrebande marchande puisqu’il n’y a pas, en pleine mer, d’infraction aux lois de douane? La question n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. En effet, tout le monde reconnaît que les nations civilisées ont le droit d’anéantir les pirates, ennemis communs du genre humain, et l’on n’a pu se dispenser de confier, à ce point de vue, une sorte de police maritime aux vaisseaux de guerre : tout vaisseau de guerre peut, à quelque état qu’il appartienne, s’il a de graves motifs de soupçonner qu’un navire se rend coupable de piraterie, l’arrêter en pleine mer et le visiter. Le droit international moderne, pour éviter tout abus, se borne à reconnaître au navire injustement arrêté la faculté d’exiger satisfaction et, suivant le cas, d’obtenir des dommages-intérêts.

Or l’Angleterre, assimilant entièrement la traite des noirs à la piraterie, a, dans la première moitié de ce siècle, sous prétexte de vérifier si les bâtimens des différentes marines marchandes ne se livraient pas à la traite, revendiqué le droit de visite en pleine paix. Bien plus, elle l’a fait consacrer, de 1815 à 1842, par de nombreux traités dont l’avant-dernier fut conclu, en 1841, entre les cinq grandes puissances européennes. Il est vrai que ce traité ne fut pas ratifié par le roi des Français. La même année, les États-Unis refusèrent de se soumettre à une prétention qu’ils avaient d’ailleurs invariablement contestée. Ils n’eurent pas de peine à réfuter la puérile distinction que le gouvernement anglais cherchait à établir entre le droit de visite, licite en temps de guerre, et la recherche du pavillon, licite en temps de paix, ni à démontrer que, si l’on peut recourir très exceptionnellement, sur des soupçons précis, à une vérification pour réprimer la piraterie, la traite des noirs n’est pas la piraterie. Le principe de la libre navigation prévalut : la Grande-Bretagne et les États-Unis s’engagèrent, le 9 août 1842, à maintenir sur la côte d’Afrique les forces navales nécessaires pour que chacune des deux puissances visitât les navires de sa nationalité. Le président Tyler écrivit au congrès, l’année suivante, dans un message spécial, que, « sauf le cas de piraterie proprement dite, aucune nation n’a en temps de paix une autorité suffisante pour détenir les