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sa conversion à la monnaie d’or en 1872, avait dû vendre une partie de l’argent qu’elle avait de trop, avait arrêté ses ventes depuis quelques années. Il est vrai encore que les mines d’où l’on tire l’argent étaient devenues moins productrices. De plus l’Inde en absorbe davantage. Enfin les Américains, par l’adoption récente du Bland bill, avaient cherché à remettre l’argent en circulation. Les circonstances paraissaient donc favorables, et, en effet, si elles avaient été dominantes dans la question, comme on s’est plu à le dire, elles auraient exercé une grande influence et pu rendre quelque faveur au métal blanc. Il n’en a rien été, la dépréciation de ce métal a continué, elle s’est même accentuée dans ces derniers temps, elle dépasse aujourd’hui 16 pour 100. Aussi, tous les états, même ceux qui ont encore le double étalon, semblaient en prendre leur parti; l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, en contractant des emprunts, avaient bien soin de stipuler qu’on les paierait en or, et la Russie exigeait en ce métal le paiement de ses droits de douane. La question paraissait donc résolue partout, sinon en droit, au moins en fait. C’est dans ces conditions qu’un homme énergique et intelligent se mit à parcourir l’Europe et le Nouveau-Monde, prêchant une nouvelle croisade en faveur de l’argent, disant à tous que, si on se mettait d’accord, rien ne serait plus facile que de faire rentrer ce métal dans la circulation. On s’est laissé persuader, et c’est à cette prédication de l’honorable M. Cernuschi qu’est due la conférence de 1881.

Que l’Amérique se soit prêtée à cette nouvelle réunion, cela se comprend à merveille, elle y a un si grand intérêt! Elle est productrice d’argent dont elle a de moins en moins l’emploi ; elle ne serait pas fâchée de s’ouvrir des débouchés au dehors, et surtout dans les pays riches, qui pourraient absorber facilement ce qu’elle a de trop de ce métal. On comprend encore que d’autres états en Europe, qui luttent péniblement contre le papier-monnaie et qui désirent s’en débarrasser aux meilleures conditions possibles, aient accueilli avec faveur cette nouvelle tentative; on ne s’étonnera même pas que l’Angleterre et l’Allemagne aient bien voulu assister à la conférence en simples spectatrices pour voir ce qui s’y passerait et en faisant toutes leurs réserves. Mais que la France ait consenti à en prendre l’initiative de concert avec l’Amérique, voilà qui est de nature à surprendre quand on connaît la situation financière et monétaire de notre pays. On dira que nous avons aussi nos embarras ; il y a à la Banque de France un gros stock d’argent dont on n’a pas l’emploi, on pouvait espérer qu’en réhabilitant ce métal et en lui donnant la valeur qu’il avait autrefois, nous arriverions à nous en servir et à conserver intacte, en même temps, notre circulation d’or. — La naïveté était grande ; on ne pouvait donner à l’argent la valeur d’autrefois qu’en le faisant monnayer, comme le demandaient les