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peser sur Frédéric avant que la France se fut décidée, la menace d’une redoutable coalition[1].

Dans ce milieu si peu favorable, Belle-Isle ne pouvait espérer qu’un appui qui, bien qu’éloigné et absent, n’en était pas moins assez efficace. C’était celui du frère naturel du roi, le fils de la belle Aurore de Königsmark, Maurice, comte légitimé de Saxe, et déjà lieutenant-général dans l’armée française. Maurice était le premier né des innombrables amours de Frédéric-Auguste, et grâce, soit à ces souvenirs de jeunesse, soit à la précocité de son heureux naturel, il avait toujours été l’objet des prédilections de son père. Personne ne contestait d’ailleurs que, dans l’héritage paternel, le bâtard avait pris, en fait de qualités brillantes et viriles, tout ce qui n’était pas échu au fils légitime. C’est un genre de partage dont malheureusement pour la morale l’histoire a présenté plus d’un exemple. Loin de concevoir aucune jalousie de cette supériorité, Auguste III témoignait, au contraire, à son frère une affection souvent déférente et lui aurait assurément laissé prendre dans ses conseils une part prépondérante s’il lui eût convenu de rester en Saxe. Mais soit que le champ fût trop restreint pour le déploiement de ses facultés brillantes, soit que l’ambition se trouve toujours mal à l’aise sur les marches d’un trône où elle n’espère pas monter, c’était sur un théâtre plus vaste que le jeune homme avait paru dès le premier jour impatient de s’élancer. La France avait exercé sur lui de bonne heure le charme qui séduisait alors toutes les imaginations. Engagé dans nos armées, il vivait à Paris depuis près de vingt années, livré à tous les entraînemens d’une nature fougueuse, plongé dans un tourbillon de plaisirs qui ne lui faisait oublier ni le souci de la gloire ni même l’étude des secrets de l’art militaire, ne négligeant aucune occasion pas plus de se divertir que de se battre, animant par sa présence, amusant par sa verve intarissable aussi bien les camps que la cour ou les coulisses des théâtres, et aussi apprécié des gens de guerre qu’aimé des grandes dames ou des princesses de comédie. Une équipée brillante qui l’avait ramené dans le Nord avec l’espoir de s’emparer de la souveraineté de la Courlande ne l’avait éloigné que peu de mois de ce séjour favori ; cette prouesse n’avait fait que le mettre plus en vogue et le rendre plus épris que jamais d’aventure et de renommée. Il se tenait l’oreille au guet, prêt à répondre au premier appel de la fortune.

La mort de Charles VI lui avait paru sonner l’heure décisive de sa destinée. « Voilà le brouillamini général, écrivait-il sur-le-champ au comte de Brühl ; j’ai une part à y prendre. » effectivement, l’événement paraissait fait pour lui. N’ayant jamais oublié,

  1. D’Arneth, t. I, p. 206 et suiv.; — Droysen, t. I, p. 2tO et suiv., 250 et suiv.