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des canaux, qu’on ouvre des ports, qu’on crée des usines nouvelles, etc., comme cela se pratiquait il y a tantôt quinze ou vingt ans. Depuis la guerre, on est devenu, sous ce rapport et à juste titre, assez réservé, et on peut se rappeler l’effet que produisit, il y a quelques années, le fameux plan de M. de Freycinet, demandant de dépenser 5 ou 6 milliards en dix ans ; il a effrayé les esprits et on y a donné peu de suite. Nous irons peut-être au-delà de la vérité en disant que c’est à peine si, en fait de travaux publics, on dépense en France plus de 300 à 400 millions par an depuis dix ans. Il est vrai que, d’après M. Léon Say[1], la réforme de notre matériel de guerre et les dépenses de ce qu’on a appelé le compte de liquidation auraient absorbé 2 milliards 700 millions dans le même espace de temps, ce qui fait en tout moins de 700 millions par an. Or les épargnes de la France sont toujours considérables et dépassent 2 milliards. On voit qu’il reste encore de la marge pour les besoins imprévus. Il est vrai encore qu’on a vu surgir, dans le cours de ces dernières années, beaucoup d’associations financières, institutions de crédit, de banque, d’assurances et autres ; elles ont fait appel aux capitaux sur une large échelle, mais ce n’était pas pour les immobiliser ; elles les ont, au contraire, rendus plus disponibles en les portant à la Bourse, et c’est en grande partie à leur intervention que l’on doit le dévergondage de spéculations qui a eu lieu il y a quelques mois. Pour bien juger la situation financière du pays, il faut voir à quel taux se capitalisent les valeurs recherchées par ceux qui veulent faire des placemens définitifs, telles que la rente 3 pour 100 et les obligations de chemins de fer ; elles rapportent moins de 4 pour 100. Et un grand établissement financier, le Crédit foncier, négociait jusqu’à ces derniers jours à ce taux de 4 pour 100 par l’entremise de ses agens en province pour plus de 1,200,000 francs d’obligations chaque semaine. Tout le monde sait aussi que le taux des placemens hypothécaires est descendu à 4 1/2 et même au-dessous. En un mot, le loyer général de l’argent, pour les placemens sérieux, est aujourd’hui, malgré une crise passagère, de 4 pour 100 à peine. Cela n’annonce pas une pénurie de capitaux et des embarras financiers.

Ce qu’il y a d’anormal se passe dans les hautes régions de la banque et particulièrement à la Banque de France. Et pourquoi en est-il ainsi ? Parce que ce dernier établissement a dans ses caisses, je le répète, un stock d’argent dont il ne peut faire usage et qui non-seulement est inutile, mais nuisible. Il est nuisible parce qu’il fait naître des illusions sur des ressources qu’on peut croire disponibles d’après l’encaisse et qui ne le sont pas quand on veut s’en

  1. Voir Journal des Économistes, livraison du 15 décembre 1880.