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servir. On admettra bien: que si, il y a quelques années, la question du double étalon eût été tranchée et que la monnaie d’or fût devenue l’instrument principal de libération, la Banque de France n’aurait pas amassé 1 milliard 200 millions d’argent dans ses caisses, il aurait fallu la payer en or. Ce métal aurait peut-être diminué au sein du pays, mais il se serait accru à la Banque, et lorsque le change a commencé à nous être défavorable avec les États-Unis et l’Angleterre, notre principal établissement financier aurait peut-être eu à sa disposition pour répondre aux besoins du dehors 1 milliard 1/2 d’or. Dans ces conditions, il aurait pu en exporter aisément pour 300 ou 400 millions en un an, et il n’aurait pas été obligé de porter l’escompte à 5 pour 100; et, comme tout se tient dans les régions élevées de la banque, les autres établissemens de crédit, voyant l’argent facile et à bon marché, n’auraient pas consacré la plus grande partie de leurs ressources à favoriser les excès de la spéculation en se faisant payer des reports très chers ; ou plutôt beaucoup de ces entreprises ne seraient même pas nées, car elles n’avaient pour but que ces excès et le profit qu’elles pouvaient en tirer : ainsi les caisses dites de report, qui se sont organisées depuis quelque temps et qui ont à leur disposition plus de 100 millions. N’est-ce pas un trait caractéristique de la situation que la création de ces caisses, qui détiennent en dehors du commerce et de l’industrie une grande quantité de capitaux, et cela pour entretenir une spéculation dont le dernier mot sera peut-être une catastrophe?

Or sait-on ce qu’a pu coûter au commerce régulier cette fausse situation de la Banque de France? Dans un travail que nous avons communique à l’Académie des sciences morales et politiques, au printemps de l’année dernière, nous disions qu’il y avait bien en France toujours une dizaine de milliards de papier en circulation qui subissait directement ou indirectement le taux de l’escompte fixé par la Banque de France on a paru s’étonner de l’importance de ce chiffre et croire qu’il était exagéré. Cependant, si l’on veut bien faire attention à ce qui se passe en Angleterre, où il y a des élémens d’appréciation plus sûrs que chez nous, on trouvera qu’il est plutôt modéré; depuis quatre ou cinq ans, le Clearing-House de Londres liquide pour 150 milliards de papier de commerce par an et, en supposant que ce papier ait une durée moyenne de quarante jours, ce qui est la durée probable, cela représente 15 milliards d’effets toujours en circulation, et le Clearing-House de Londres, malgré l’étendue de ses opérations, ne représente pas tout le papier négociable et négocié de l’Angleterre. Il y a beaucoup de banques de province qui ne font pas partie de cet établissement et qui escomptent aussi des effets. Il nous a donc paru que, s’il y avait pour 15 milliards de papier toujours en circulation en Angleterre