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pas d’inconvénient à ce projet, à la condition, toujours, que l’argent n’eût plus de valeur légale. Mais, je veux aller plus loin et supposer qu’on aura besoin de ce métal monnayé pour les transactions intérieures. Eh bien! même alors, on en sera quitte pour le reprendre et convertir le lingot en pièces de 5 francs. Si l’argent était rappelé dans ces conditions, c’est qu’il serait absolument nécessaire, il ne subirait plus de dépréciation par rapport à l’or, et il n’y aurait pas d’inconvénient à le reprendre, tandis qu’aujourd’hui il y en a beaucoup à le garder. Il ne peut pas même, sans circuler, servir d’encaisse dans les banques ; personne ne voudrait avoir, comme garantie des billets, un métal qui perd, aujourd’hui, 15 pour 100 et qui en perdra peut-être bientôt davantage.

On a quelquefois reproché à la France d’être le don Quichotte de l’Europe et de s’occuper des intérêts des autres nations avant de songer aux siens. Cela est malheureusement trop vrai, et nous en avons été plus d’une fois victimes. Eh bien! nous jouerions encore ce rôle si le but poursuivi par la conférence monétaire pouvait être atteint. Nous agirions au profit des états qui sont, les uns gênés par le papier-monnaie, les autres par une production de métal blanc dont ils n’ont pas l’emploi. Nous les aiderions à sortir d’embarras à notre grand préjudice. Ce serait vraiment trop naïf. Soyons un peu plus égoïstes et, avant de nous occuper des autres, songeons à nous. C’est le moins que l’on puisse attendre d’un gouvernement qui se dit ami du progrès et particulièrement dévoué aux intérêts généraux du pays.

En résumé, après avoir lu avec soin les procès-verbaux de la conférence internationale monétaire de 1881, on constate qu’aucun argument décisif n’a été produit en faveur du double étalon ; l’avantage est resté à ceux qui ont défendu le principe contraire, et ils ont eu même plus beau jeu que lors de la conférence de 1878. À cette époque, on n’avait pas encore vu l’effet que pouvait amener la reprise du double étalon en Amérique, la production moins grande du métal d’argent dans les mines où on l’exploite, et enfin la cessation des ventes par l’Allemagne. On pouvait supposer que, par suite de ces circonstances, l’argent reprendrait un peu de faveur. Il n’en a rien été, et la conférence de 1881 a pu voir qu’au moment même où elle se réunissait et délibérait sur les moyens de conjurer la dépréciation de ce métal, cette dépréciation continuait, si elle ne s’aggravait pas. Il y avait là de quoi ouvrir les yeux les plus fermés. Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire, disait-on autrefois. Ici tout le monde était plus sensé que la conférence; on comprenait qu’on tentait une œuvre impossible. La spéculation elle-même, si aventureuse pourtant, n’a pas essayé, grâce aux réunions de la conférence, de donner un regain de faveur à la monnaie