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par le maréchal de Neipperg et l’armée prussienne commandée par Frédéric lui-même. Bien que la journée fût demeurée longtemps incertaine et que les détails de l’action fussent confus et contradictoires, il était certain qu’en définitive le général autrichien battait en retraite et que les Prussiens restaient maîtres du champ de bataille. Cet échec imprévu jetait le parti autrichien à la cour dans une grande inquiétude ; la reine en ressentait tant d’émotion qu’elle avait dû, écrivait un diplomate, se purger par précaution, et le roi, ne sachant plus que penser, se rendait invisible. Profitant de cet avantage avec cette confiance qui est naturelle et peut-être nécessaire à ceux qui poursuivent lie grands desseins, Belle-Isle crut, pendant un instant, que tout allait céder devant lui ; et effectivement, à la suite de plusieurs entrevues avec les deux favoris, il avait déjà obtenu du père Guarini la promesse significative qu’il écrirait à ses supérieurs à Rome pour savoir si, en conscience, le roi de Pologne était tenu par les engagemens pris envers la pragmatique. Au bout de quelques jours, cependant, Belle-Isle put lui-même s’apercevoir que ce progrès était arrêté, que les adversaires reprenaient courage et relevaient la tête. On sut que le roi Auguste avait eu avec le ministre d’Autriche des entretiens dont celui-ci paraissait satisfait. Que se passait-il donc et quelle était la cause de ce temps d’arrêt? Il n’était pas impossible de le deviner, et en tout cas, on ne tarda pas à l’apprendre[1].

D’abord, quand on connut le récit exact de ce qui avait eu lieu à Molwiz, les circonstances qui avaient précédé la victoire furent de nature plutôt à rabaisser qu’à grandir l’idée qu’on s’était faite jusque-là du vainqueur. Tout le monde connaît cette singulière journée de Molwiz, dans laquelle Frédéric faillit faire à ses dépens l’apprentissage de la guerre et reçut sans les mériter les premières faveurs de la fortune. On sait que la bataille parut perdue pour les Prussiens pendant les premières heures, à ce point que Frédéric, croyant tout désespéré, opéra une retraite précipitée, et que ce fut son lieutenant, le maréchal Schwerin, qui, moins prompt à perdre courage, tînt bon, reprit l’avantage et décida le succès, en l’absence du général en chef. Frédéric lui-même est convenu longtemps après dans ses Mémoires, avec une bonne grâce qui ne devait plus guère lui coûter, des fautes de jeunesse et d’inexpérience qu’il avait commises. La principale paraît avoir été de s’être chargé lui-même de commander une des divisions de son armée, au lieu de rester au centre de l’action pour la conduire tout entière et la dominer. Son corps d’armée ayant lâché pied avant les autres, il se trouva enveloppé dans cette déroute

  1. Droysen, t. I, p. 250; — Belle-Isle à Amelot, 20 avril 1741. (Correspondance de Saxe, ministère des affaires étrangères.)