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et qui n’a jamais réparé leurs pertes. Frédéric, d’ailleurs, n’était pas homme à laisser longtemps les rieurs du côté de ses adversaires. Mais ce qui était plus grave, c’est le bruit qui se répandit que lui-même, soit dégoûté d’une première épreuve, soit pressé de mettre à profit un premier succès, ouvrait l’oreille à des propositions de paix. Un nouvel ambassadeur d’Angleterre, lord Hyndfort, jeune pair très en faveur auprès de Walpole, allait arriver à Berlin tout exprès pour tenter de nouveau un essai de conciliation, et l’on assurait qu’un accueil favorable l’attendait au camp prussien. On peut juger de l’impression que l’annonce de cette apparition produisit sur Belle-Isle, qui n’avait aventuré sa haute dignité au fond de l’Allemagne que sur la confiance d’y venir chercher un allié déjà en armes, et sur Valori, qui avait engagé son honneur à la suite de celui de Frédéric sur la certitude que l’alliance était chose faite et conclue.

Valori ne put cependant douter de ce changement de front, lorsque le 15 avril, quatre jours seulement après la bataille, ayant été trouver le ministre Podewils pour le féliciter et presser (ce qu’il ne cessait de faire depuis un mois) la signature du traité encore eu suspens, celui-ci lui déclara, non sans quelque embarras qu’avant de passer outre, son roi avait reconnu que quelques conditions nouvelles étaient indispensables. Il fallait qu’on lui garantît que, dans le cas où il serait attaqué par la Russie, la Suède et même le Danemark entreraient en lice pour le défendre. Il voulait de plus avoir le droit de se mettre en possession des duchés de Juliers et de Berg, si l’électeur palatin venait à mourir, sauf à les rendre, après la guerre, à ses héritiers. Enfin il fallait que la nature et la force effective du secours armé qui lui serait prêté par la France, fussent déterminées dans le traité par une stipulation expresse, au lieu d’être laissées dans le vague à la disposition de l’électeur de Bavière. Les menaces de la Russie, chaque jour plus instantes, rendaient, disait-il, ce surcroît de précautions nécessaire.

Il faut rendre à Valori la justice qu’il ne se méprit pas un instant sur la véritable intention qui dictait ces nouvelles exigences. Il comprit à demi-mot qu’on voulait se ménager un prétexte de rupture, ou du moins le temps d’attendre et de voir si on ne pourrait pas faire affaire ailleurs. En tous cas, eût-il été dupe de cette honnête manœuvre, pour les lecteurs des dernières publications prussiennes, cette illusion ne serait plus possible. On y peut lire en effet, cette instruction donnée en propres termes de la main même de Frédéric, le 12 avril, c’est-à-dire en sortant du moulin où il avait passé la nuit critique : « Quant à la négociation avec la France, il faudra la traîner sans affectation, en cajolant plus que jamais le de Valori. » Et le lendemain : « Vous connaissez mes