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dont j’espère que j’aurai sujet de louer Dieu tant que nous vivrons ensemble. Mettez-vous bien dans l’esprit ce que je m’en vais vous dire, et l’observez exactement, de peur d’offenser Dieu et de peur de me déplaire. » (Voyez l’Ecole des femmes, acte III. scène II.) Tel est encore le discours de la vieille : « La vieille lui prit les mains, lui disant qu’elle allait redonner la vie à ce pauvre gentilhomme qu’elle avait laissé demi-mort. — Et pourquoi ? s’écria Laure tout effrayée. — C’est vous qui l’avez tué, lui dit la fausse vieille. ». (Voyez l’École des femmes, acte II, scène IV.) Tel est encore l’aveu de Laure à dom Pèdre, quand elle lui dépeint son gentilhomme « si beau et si bien fait, qu’il sera ravi de le voir. » (Voyez l’École des femmes, acte II, scène IV), et bien d’autres détails encore que nous croyons pouvoir nous dispenser de signaler[1].

On se récriera qu’il y a autre chose dans la comédie de Molière. Certainement, il y a autre chose ; et, en premier lieu, Molière, dont ce grotesque de Scarron est aussi loin qu’un simple bouffon le puisse être de celui que Garrick, je crois, appelait « le dieu de la comédie. » Scarron, réaliste et romanesque à la fois, romanesque jusqu’à l’invraisemblance par le fond de l’histoire, et réaliste jusqu’à la grossièreté par le choix des détails, a gâté son sujet, faute de le comprendre. La nouvelle est presque aussi ennuyeuse à lire que la comédie amusante à voir jouer.

C’est que Molière, et sans parler de ce don de gaîté saine et robuste dont la franchise emporte tout dans le torrent du rire, a renouvelé d’un seul coup tout le sujet, rien qu’en en dégageant la leçon qu’il contient, bien simple et profonde, qui est qu’on ne force pas la nature. Voulez-vous maintenant voir, clairement, toute l’importance de la leçon? Après l’École des femmes, relisez cet autre chef-d’œuvre, le Barbier de Séville, imité de si près que les mêmes situations y ramènent les mêmes mots. S’il vous suggère cependant la plus légère velléité de réflexion philosophique, je n’ai plus rien à dire, et je consens que ce soit une duperie de mesurer la valeur des œuvres de la littérature et de l’art sur ce qu’elles enferment de sens et de moralité. Défions-nous des formules, à la bonne heure ! mais cependant n’en ayons pas peur. Nulle sorte de pédantisme n’est bonne, et c’en serait assurément une. Amusons-nous de Beaumarchais, mais profitons de Molière. Charmante et spirituelle Rosine, vous n’êtes sous votre costume espagnol que la plus espiègle, la plus exquise et la plus délicieusement rouée des pupilles qui jamais se soient jouées d’un vilain et méchant jaloux de tuteur. Mais vous, Agnès, sous votre robe grise de pensionnaire, avec votre air de n’y toucher pas, si forte de votre ignorance, plus

  1. Consultez, sur tous ces points, dans la collection des Grands Écrivains de la France, le tome III du Molière, de M. Paul Mesnard ; le Molière de M. Louis Moland, qu’on réédite en ce moment même, et un récent ouvrage de M. R. Mabrenholtz: Molière’s Leben und Werke, Heilbronn, 1881, Henninger.