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arrangé ses flûtes avec les Anglais... Il n’y a pas d’autre moyen que d’insister sur le secours de la Suède, sur l’alliance du Danemark, et de faire les peureux pour la Russie[1]. »

Enfin, le 26 avril, il fallut bien se décider à recevoir l’ambassadeur du roi de France, au camp de Brieg près de Molwiz, et rien ne fut épargné alors pour l’éblouir et le charmer. Une escorte de cent cinquante carabiniers, magnifiques d’équipement et de stature, vint le chercher à Breslau pour accompagner son carrosse : de distance en distance, des postes d’infanterie étaient disposés sur la route pour lui faire honneur : un corps de deux mille hommes vint au-devant du cortège, et Frédéric se tenait lui-même à l’entrée du camp.

Comme Belle-Isle, en descendant de voiture, lui exprimait tout de suite son regret et sa surprise d’arriver avant la signature d’un traité dont il croyait seulement venir assurer l’exécution, le roi évita de lui répondre en se mettant tout de suite en devoir de lui faire visiter le camp et de faire manœuvrer ses troupes devant lui. La visite se poursuivant naturellement dans une compagnie qui ne permettait guère les entretiens confidentiels, il n’y avait pas moyen de reprendre, ce jour-là, la conversation; le temps d’ailleurs était affreux ; le vent, la pluie et la neige ne se prêtaient guère aux conférences en plein air. Frédéric ne s’en plut pas moins à expliquer dans les moindres détails son organisation militaire et à raconter les incidens de la campagne avec une abondance et une volubilité de paroles où Belle-Isle remarqua sans peine l’intention de l’empêcher, lui, d’en placer une seule.

L’état de l’armée prussienne, dont tout le monde se disputait l’appui, était pourtant trop important à connaître pour qu’il regardât comme perdue une journée passée à l’étudier. Il a noté lui-même avec soin dans ses Mémoires la première impression qu’il en reçut. Aujourd’hui que la comparaison entre les armées française et allemande tient tant de place dans les préoccupations publiques, le jugement d’un maréchal de France qui avait combattu à Denain sur l’armée qui devait nous vaincre à Rosbach présente un intérêt rétrospectif que les historiens militaires apprécieront mieux que je ne puis le faire.

« Rien n’égale, dit Belle-Isle, la beauté et la discipline des troupes prussiennes; quelque idée qu’on puisse se faire de ces qualités, elle n’approcha pas de la vérité. Elles sont d’une élévation singulière et d’une si grande égalité qu’on croirait que tous les hommes sont faits dans le même moule. Il ne cessa pas de pleuvoir ou de neiger avec un vent de tempête continuel; cela n’empêcha pas le prince de me faire voir l’adresse et la vivacité avec lesquels (sic) ses troupes

  1. Pol. Corr., t. I, p. 233 et 234.