Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sera de moins longue durée ; elle ne laissera point derrière elle de traces ineffaçables et préparera pour les affaires, en 1882, un terrain infiniment plus solide et plus résistant.

La place de Paris aurait pu soutenir encore quelque temps l’allure singulière que lui avait fait prendre la spéculation. Mais, à Lyon, les folies commises depuis quelques mois avaient dépassé tout ce qu’il était possible de prévoir. Les bénéfices énormes réalisés avec les titres de l’Union générale et des sociétés de son groupe avaient grisé les Lyonnais. Ils ont voulu gagner plus encore et surtout plus vite, en se portant sur d’autres titres auxquels on prédisait la même fortune; ils spéculaient sur le Suez, sur la Banque ottomane, sur le Crédit provincial et ses diverses créations, finalement sur la Banque de Lyon et de la Loire. On a vu les actions de cette société, à peine créées et libérées seulement de 125 francs, s’élever jusqu’à 1,500 et 1,600 francs. La Banque de Lyon et de la Loire voulut malheureusement suivre l’Union générale sur son terrain en Autriche ; elle pensa obtenir la concession d’une Banque maritime et en fit grand bruit. La concession ne venant pas, on crut à un sinistre, et les titres tombèrent au-dessous du pair.

Cet incident, qui aurait pu et dû rester isolé, a été l’occasion de la grande débâcle. Il ne fut question pendant tout un jour à Paris que du désastre de la place de Lyon; on donnait le nombre des agens en déconfiture, on alignait les centaines de millions perdus par les spéculateurs lyonnais. Dès le lendemain, la vérité était connue; la place de Lyon, fort éprouvée, il est vrai, n’était nullement le théâtre d’un cataclysme ; la Banque de Lyon et de la Loire elle-même se relevait rapidement. Mais le coup était porté; la spéculation à la hausse à Paris s’était subitement décidée à vendre.

On a dit que le syndicat qui avait porté les actions de Suez à 2,500 fr. s’était dissous et que de ses débris s’était formé un syndicat à la baisse, On a dit qu’un établissement de crédit avait une position formidable à la hausse sur la Banque ottomane et que cette position était particulièrement visée par la haute banque. On a dit que les mêmes spéculateurs qui avaient si vainement coalisé leurs forces contre l’Union générale avaient saisi avec joie le prétexte de la crise lyonnaise pour écraser le marché de Paris, dans l’espérance que la ruine générale atteindrait l’Union par contre-coup.

Dans ce roman financier il peut y avoir un fond de vérité. Le fait saillant et capital, c’est que tous les spéculateurs, petits et grands, ont essayé à la fois de se liquider et que naturellement cette grande concurrence de ventes n’a pu que précipiter les cours. Les valeurs ont baissé en proportion des excès de hausse dont elles avaient été l’objet. Celles qui n’avaient pas subi depuis plusieurs mois de variations