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de Bavière, ne pouvait rien tant désirer que de trouver un prince de l’empire assez hardi pour attacher un premier grelot. J’ai bien connu que M. le cardinal (que j’ai fait sonder par Camas et à qui j’ai écrit moi-même) pacifique comme il est, ne voudrait jamais entrer dans une pareille voie si je lui proposais avant tout de l’entreprendre, mais je n’ai pas douté qu’il s’y rendrait après coup. »

Après cet exorde habile où il se donnait le mérite d’avoir pris les devans sur les desseins de la France et de s’être comme placé à l’avant-garde de l’ambition et de l’intérêt français, il exprima avec plus de liberté ce qu’il appelait ses justes plaintes. On avait profité de la hardiesse de sa résolution pour mettre en avant les prétentions de l’électeur de Bavière, mais pourquoi ne l’avait-on pas encore effectivement soutenu? Pourquoi l’électeur n’était-il pas encore sûr du degré où il pouvait compter sur le concours de la France?.. On avait laissé le temps à la reine de Hongrie de se remettre de sa surprise et de chercher à Saint-Pétersbourg, à Londres, à La Haye et même à Dresde, des alliés dont l’union était presque faite et contre lesquels on le laissait seul à se défendre.

Dans cette voie de récriminations Belle-Isle n’eut pas de peine à le suivre. « Pouvait-on, répondit-il, agir à Versailles et à Munich, tandis qu’à Berlin on tenait une conduite équivoque et des pourparlers en sens contradictoire? Si l’électeur faisait valoir par les armes ses prétentions personnelles, sans être assuré d’être appuyé au moins par un prince allemand de quelque importance, ne serait-il pas accusé de troubler l’empire et ne compromettrait-il pas ses chances d’arriver au trône impérial ? — « Ah! l’empire, s’écria Frédéric avec vivacité, c’est le plus fort qui a toujours raison, c’est le plus fort qui sera empereur! »

Belle-Isle se décida alors à lui faire comprendre qu’il voyait clair dans son jeu. « Votre Majesté me permet-elle de lui parler comme son serviteur et encore avec cette même franchise qu’elle ne désapprouve pas? « Il me dit que non-seulement il l’approuvait, mais qu’il l’exigeait. Alors je lui dis: « Sire, tout ce que Votre Majesté vient de me faire l’honneur de me dire pourrait être bon s’il s’agissait d’entamer aujourd’hui une négociation, mais elle me permettra de lui dire qu’après sa parole donnée à M. de Valori, toutes ces raisons ne valent plus rien. Il en résulterait que les engagemens de Votre Majesté dépendraient de l’événement, au lieu qu’ils doivent être aussi sacrés et inviolables, quand un grand prince comme Votre Majesté donne sa parole, que s’il y avait un traité signé. Le roi mon maître y compte, sur le compte que lui a rendu M. de Valori, et quel sera son étonnement quand il apprendra cette