Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frédéric n’était ni plus décidé, ni plus sincère dans une négociation que dans l’autre et ne savait au fond de quel côté pencher. Mis en possession par la victoire de la conquête qu’il s’était arrogée, jouissant de voir aux portes de sa tente et presque à ses pieds, les envoyés des plus grandes puissances d’Europe, il laissait prolonger sans déplaisir une situation qui flattait son orgueil et dont l’issue ne pouvait lui être défavorable. De deux choses l’une : ou l’Autriche, abattue, allait se décider à capituler, ou l’inquiétude de la France la rendrait plus empressée dans ses offres de concours, plus souple et plus accommodante dans leur exécution. Dans les deux cas, il gagnait à se faire prier et à attendre.

Animé de ces dispositions, tout en faisant en public bon visage à lord Hyndfort, il le traita dans ses entretiens particuliers encore plus mal que Belle-Isle. Il lui demanda rudement compte du langage très défavorable à la Prusse que les envoyés anglais tenaient à Saint-Pétersbourg et à La Haye, et d’un vote du parlement britannique, qui venait d’accorder au roi d’Angleterre un subside de 300,000 livres sterling pour venir en aide, conformément à d’anciens traités, à l’Autriche en péril : — « Comment accorder, disait-il, ces dispositions hostiles avec les paroles conciliantes qu’on lui apportait? » Frédéric, en posant la question, pouvait mieux que personne y faire la réponse, car il savait parfaitement combien les désirs pacifiques du cabinet anglais étaient gênés par l’impatience belliqueuse du parlement. Il pouvait d’autant moins ignorer cette situation que Hyndfort était accompagné d’un envoyé hanovrien, chargé de lui faire connaître à l’oreille les sentimens et de plaider les intérêts particuliers du roi George. Mais il prit acte de ce prétendu grief pour élever très haut et surtout pour exprimer très sèchement ses prétentions. Il déclara qu’à moins de la cession complète et définitive de toute la Basse-Silésie (y compris la capitale de la province, Breslau), aucun accommodement ne serait possible. Lord Hyndfort essaya bien de marchander et de rabattre quelque chose de cet ultimatum; il offrait un ou deux duchés, à la place de quatre qui étaient demandés, avec telle citadelle qu’on pourrait désigner. Il ne put rien obtenir et dut transmettre à Vienne les conditions telles quelles, en donnant fort lui-même de les voir accepter[1].

Effectivement, si la victoire exaltait Frédéric, la défaite était loin d’abattre sa généreuse rivale. « On ne fut jamais, dit Voltaire, plus intrépide et plus impuissante. » Seule de tout son conseil, Marie-Thérèse avait reçu la nouvelle de l’échec imprévu de ses armes, non sans douleur, mais sans trouble et presque sans surprise apparente.

  1. Pol. Corr., t. I, p. 239, 240; — Coxe, t. I, p. 416.