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Le jour même, elle écrivait de sa propre main au vieux maréchal Neipperg, qui offrait avec désespoir sa démission, pour le consoler et lui rendre courage. Elle lui ordonnait d’éviter toute nouvelle action jusqu’à ce que ses alliés en qui elle espérait encore eussent eu le temps de venir à son aide. Depuis lors, le vote du parlement anglais (le même qui irritait Frédéric), lui paraissait répondre à cette confiance, et quand le ministre Robinson vint lui apporter les propositions que son collègue lui envoyait de Molwiz, elle le prit tout de suite de très haut. C’était assez son habitude, d’ailleurs, de peu ménager ce diplomate, car le digne vieillard, séduit par sa grâce et touché par ses malheurs, s’était laissé prendre pour elle d’une admiration passionnée dont ses collègues le plaisantaient, et la princesse, sentant son ascendant sur lui, en usait sans beaucoup d’égards dans la conversation. Elle lui demanda tout de suite, sur un ton de fière ironie, comment il conciliait le rôle de porteur de paroles prussiennes qu’il venait remplir avec l’expression publique du vœu national de sa patrie : — « Et moi aussi, lui dit-elle, je désire fort un accommodement qui mettrait l’Allemagne en repos. Mais l’Angleterre m’obligerait beaucoup si elle voulait m’indiquer le moyen d’atteindre ce but sans violer la pragmatique, sans préparer la ruine de l’Autriche et mettre en péril l’équilibre de l’Europe. Pour moi, je n’en vois qu’un seul, c’est que l’Angleterre me fournisse tout de suite le secours d’hommes et d’argent que je ne cesserai de réclamer comme la stricte exécution des traités encore existans. » Et quant aux concessions de détail et aux propositions intermédiaires que lord Hyndfort avait cru pouvoir offrir en son nom, elle déclara qu’elle ne les avait jamais autorisées et qu’elle s’estimait trop heureuse que Frédéric les eût refusées[1].

Cette réponse intraitable coupait court à toute hésitation. A peine Frédéric en eut-il connaissance qu’il fit savoir à Valori qu’il était prêt à signer le traité. Des arméniens de la Russie, de sa coalition menaçante avec la Saxe et l’Angleterre, de l’épouvantail dont il avait essayé d’effrayer Belle-Isle, il ne fut plus même question, et comme Podewils, à qui on avait recommandé si récemment de faire le peureux, ayant quelque peine à tourner ainsi sur lui-même, présentait encore, pour la forme au moins, quelques objections, il fut vertement semonce et menacé d’être cassé aux gages comme vendu à l’Angleterre. Bref, le 7 juin, une convention était souscrite en deux parties : l’une publique, qui ne contenait qu’une alliance de défense mutuelle, conclue entre les deux rois de France et de Prusse pour

  1. D’Arneth, t. I, p. 384 et 225; — Coxe, t. I, p. 417.