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dans les luttes abaissées de la politique contemporaine. Un autre accomplit sa tâche avec la même verve qu’autrefois, nous donnant l’exemple d’une jeunesse de talent inépuisable; mais les nécessités de la cause à laquelle il s’est voué, certaines exigences d’autant plus impérieuses qu’elles sont celles d’un parti vaincu font de lui moins un juge qu’un soldat qui ne pose jamais les armes. A côté de ces survivans de la grande critique, il faut marquer la place de talens admirablement doués pour cette fonction de juges et qui se seraient imposés à l’opinion, si leur humeur errante ne les avait attirés ailleurs, s’ils n’avaient subi des tentations multiples sans méconnaître cependant leur instinct qui les ramène de temps en temps pour la joie des délicats dans les régions littéraires; d’autres encore qui, en quelques pages fines et rapides, tantôt nous montrent la justesse la plus acérée d’esprit, tantôt se répandent en fantaisies charmantes. Enfin, comme consolation du présent et réserve de l’avenir, nous ne serions pas embarrassés pour citer de jeunes et vifs esprits, mûris avant l’âge par l’étude et la réflexion, d’une science déliée et d’une dialectique bien savante et bien juste dans son apparente âpreté. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que toutes ces manifestations de la critique contemporaine, ces apparitions plus ou moins intermittentes, dispersées, individuelles, ne forment pas un corps, une magistrature. Je vois encore des juges, si l’on veut, mais je ne vois plus de tribunal. Leurs arrêts sont sans force; en dehors de quelques lecteurs de choix, la sanction manque, celle que seul donne le grand public. Leur autorité appartient à la personne, non à la fonction; elle ne dure que par eux; ils ne la partagent pas et ne la délèguent pas; ils l’emportent avec eux; elle est un accident heureux, elle n’est plus cette institution acceptée par l’opinion d’autrefois comme une discipline, comme une force collective, comme une lumière. A cet égard, tout est changé.


II.

Pourquoi cela? pourquoi ces dernières voix de la critique restent-elles ainsi isolées et sans écho? pourquoi n’ont-elles pas un retentissement plus profond dans la conscience publique? pourquoi n’ont-elles point d’action réformatrice sur l’opinion qui s’égare, ni d’initiative pour prévenir ces pitoyables égaremens? Il y a là un concours de causes dont quelques-unes dépassent la littérature proprement dite et qui tiennent à un certain état social intéressant à définir.

Un des traits les plus frappans de cet état social est la division que la politique crée entre les esprits. Jamais cette division n’a été plus radicale et plus profonde qu’aujourd’hui. C’est une sorte de