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pour occuper les chaires de philologie et d’archéologie multipliées à souhait et au-delà dans tous les centres d’enseignement supérieur. La plupart, avec toutes leurs ressources d’esprit, de science et de talent, sont perdus à tout jamais pour les lettres pures; les sciences spéciales ont pour ces jeunes gens le double attrait des petites découvertes à Taire et des domaines incontestés. Cet attrait les attire, les fixe, les absorbe tout entiers et sans retour. Il n’est pas probable qu’il sorte beaucoup de critiques de ces nouvelles générations de l’école, entraînées par un mouvement qui n’a aucune chance de s’arrêter, et que des influences de tout genre accélèrent.

Il faut aussi attribuer une part de la stérilité de la critique à l’impulsion nouvelle que l’on s’efforce de donner depuis plusieurs années, même en dehors de l’Ecole normale, à l’enseignement supérieur. Là encore il y avait quelque chose à faire; il fallait assurément pourvoir de la manière la plus large à des exigences nouvelles, créer des enseignemens, les mettre en rapport avec les programmes des universités allemandes et anglaises, développer la critique des textes et la science comparée des langues. Il y avait lieu de créer, il n’y avait lieu de rien détruire.

En même temps que l’on ouvrait abondamment les sources nouvelles, il fallait maintenir intactes ces traditions fécondes de l’enseignement supérieur, chargé de distribuer sous une forme accessible les connaissances qui constituent la haute culture, les résultats définitifs de la science et d’initier le grand public aux mouvemens de l’esprit dans sa sphère la plus élevée. Il y avait à cela deux avantages: on éveillait ainsi des vocations vers la haute critique, on préparait d’innombrables auditeurs à la comprendre et à s’y intéresser. Mais nous avons en France un tempérament immodéré, qui se porte toujours à l’absolu. On ne peut rien modifier chez nous sans essayer de tout renverser. La réforme indiquée, urgente, était de développer parallèlement ces deux espèces d’enseignement, l’enseignement philologique et tout ce qui s’y rapporte, étude des antiquités et des origines, et l’enseignement des idées générales, qui n’excluent nullement la précision, puisqu’elles la supposent dans le mode de leur formation, et qui, comme nous l’avons montré, n’ont rien de commun avec ce qu’on appelle sottement les généralités oratoires. Il fallait ouvrir des cadres assez libres et assez larges pour satisfaire à la fois à cette double exigence, celle des futurs professeurs, qui ont besoin de l’enseignement didactique le plus serré, mais qui ne composent, en définitive, qu’un public spécial et restreint, et celle du grand public capable de s’intéresser aux idées. On n’a pas su faire cela; on s’est jeté dans un sens exclusif, on risque par là de compromettre de sérieux intérêts, un surtout, celui de la haute culture