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de protéger, contre le parlement et contre le conseil même du roi, l’entreprise de l’Encyclopédie. Tout cela venait aboutir à Malesherbes. Ajoutez de perpétuels conflits de juridiction, comme il est inévitable dans une charge dont les limites flottent indéterminées; l’obligation d’être toujours en garde contre les sollicitations des personnes de cour, les surprises des gens de lettres, ou les empiétemens de la Sorbonne, du Parlement, du ministère même sur les droits du chancelier; l’extrême difficulté d’agir sans re heurter aux droits de l’un, sans provoquer les revendications de l’autre; comme conséquence, des haines redoutables, des rancunes persistantes, la disgrâce toujours imminente ; et vous n’aurez que l’imparfaite idée du détail innombrable et des mille inquiétudes que comportait une fonction découverte, pour ainsi dire, de toutes parts, puisqu’il n’en existait ni provisions, ni brevet, ni commission, ni titre.

C’était bien autre chose encore si, négligeant tout ce qui n’est que matière d’administration, on passe aux deux objets essentiels de la direction de la librairie : la concession des privilèges et la censure des livres. Nous n’avons pas à faire l’histoire, si curieuse qu’elle soit, du privilège en librairie. Cependant, comme il n’est chose au monde qui ne retienne, en dépit des changemens que le temps y apporte, quelque souvenir de son institution primitive, il est bon de noter que le privilège, à ses débuts, était si loin d’être ce que l’on a coutume encore aujourd’hui d’entendre sous le mot, — un instrument de règne, une mainmise du pouvoir sur les droits de la pensée, — qu’il est antérieur, au contraire, de plusieurs années, à l’institution régulière de la censure. Lorsque la convention mit fin, en 1793, au régime du privilège, elle affecta de croire, ou peut-être après tout crut-elle, que le privilège en librairie, comme le privilège de monter dans les carrosses du roi, n’était et ne pouvait être qu’une dérogation arbitraire, inique et haïssable, au droit commun de tous les citoyens français. Il était pourtant bien évident que garantir aux auteurs, contre la piraterie du contrefacteur (et le privilège, à l’origine, n’avait pas d’autre objet) l’exercice de leur droit de propriété sur leur livre, c’est garantir à l’inventeur le droit de jouir de son invention, ce qui est si peu sortir du droit commun, que c’est justement y rentrer. L’essentiel, en effet, pour ne pas dire le tout du privilège, à l’origine, était la clause pénale qui frappait le contrefacteur du livre d’une amende, selon les cas, plus ou moins considérable. « Faisons défenses à tous imprimeurs, libraires ou autres personnes, de quelque qualité et quelque condition qu’elles soient, d’introduire dudit ouvrage aucune impression étrangère dans aucun lieu de notre obéissance, comme aussi de faire vendre, débiter ni contrefaire ledit ouvrage, ni d’en faire aucuns extraits