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de l’étranger. C’est à ce sentiment de royale fierté, c’est à la sévérité des règlemens qui furent élaborés pour lui donner satisfaction, c’est à la minutie encore des prescriptions de détail où ils descendirent, que la France a dû longtemps, dans ces industries de luxe, une supériorité qu’il nous est d’autant plus permis de célébrer aujourd’hui que depuis quelques années nous sommes en train de la perdre. Il n’est guère un des nombreux règlemens sur la librairie qui ne porte les traces d’une préoccupation de ce genre. « On imprime à Paris, dit un édit de 1649, si peu de bons livres, et ce qui s’en imprime paraît si manifestement négligé pour le mauvais papier qu’on y emploie et pour le peu de correction qu’on y apporte, que nous pouvons dire que c’est une espèce de honte et reconnaître que c’est un grand dommage à notre état… » Je lis encore dans un arrêt de 1725 : « Que le roi fa rendu pour avoir été informé… que la négligence de plusieurs libraires et imprimeurs a donné lieu à différens abus qui ont excité les plaintes du public… et qui portent un préjudice considérable au commerce des livres d’impression de France dans le pays étranger. » Évidemment, l’intérêt du commerce français, l’utilité dont il est pour répandre l’influence et le renom français, le légitime orgueil de ce que l’on peut appeler, dès le commencement du XVIIIe siècle, l’universalité de la littérature française, s’ils ne priment pas toute autre considération dans l’esprit des rédacteurs de ces arrêts et de ces édits, cependant ils n’y sont pas inutilement visés ; et quand même on n’y verrait que des clauses de style, il faudrait pourtant avouer qu’il s’y est insinué quelque autre chose, au début, que le désir de borner la liberté d’écrire[1].

L’importance politique du privilège ne date que de l’époque des grandes controverses religieuses. Ici encore toutefois il est utile de noter que la bulle de Léon X, où l’on fait remonter l’institution de la censure, étant de mai 1515, elle n’était pas dirigée contre les réformateurs, mais bien, comme il résulte clairement du texte même, contre les excès de ce que l’on a nommé l’humanisme ; et nous pouvons ajouter, contre la multiplication des libelles diffamatoires et le débordement des livres obscènes. Ce fut une ordonnance de François Ier, en 1521, qui, adoptant les principes de la bulle et les étendant, soumit pour la première fois en France, obligatoirement, toute sorte de livres à la nécessité d’une autorisation préalable. L’Université, gardienne des traditions gallicanes, et d’ailleurs dont les imprimeurs et libraires étaient « officiers et suppôts jurés, » fut investie de ce droit de censure. Elle l’exerça vigilamment jusque

  1. Voyez pour de plus amples détails sur la vraie nature et l’histoire du privilège, dans les Œuvres complètes de Diderot, Ed. Tourneux, t. XVIII, p. 7, la très curieuse lettre sur le commerce de la librairie, et les documens rassemblés par MM. Laboulaye et Guiffrey dans leur livre sur la Propriété littéraire au XVIIIe siècle.