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accepta galamment sur le produit de l’Année littéraire une pension du tiers de la somme[1].

Tous les censeurs n’étaient pas inscrits sur la liste officielle des censeurs royaux. Il y avait des censeurs bénévoles, ou plutôt des censeurs hors tour, et des censeurs de la première distinction, les ministres, par exemple, auxquels Malesherbes communiquait les manuscrits qui touchaient ou qui lui paraissaient toucher aux objets de leur département. Lorsque le libraire sollicitait un privilège pour un ouvrage qui touchait à la politique extérieure, Malesherbes adressait le manuscrit à l’examen de l’abbé de Bernis ou de M. de Choiseul. M. de Machault, ou ses bureaux, décidaient du sort d’un livre sur les Intérêts du commerce maritime, mais M. de Saint-Florentin en personne d’un manuscrit sur l’Étiquette du cérémonial. Tout de même, avant de permettre d’imprimer les ouvrages qui traitaient de l’art militaire, on prenait ordinairement l’avis du comte d’Argenson ou du maréchal de Belle-Isle. Le maréchal répondait d’ordinaire en substance que tout l’art de la guerre se trouvant contenu dans « les ordonnances du roi, » il n’était pas autrement besoin d’en embrouiller les principes sous prétexte de les développer[2]. C’était sa manière, simple et hardie, de trancher les difficultés de librairie. Une autre fois ne proposait-il pas en conseil, pour couper court aux abus du colportage, de mettre, sans autres façons, les colporteurs à mort, et les auteurs aussi, par la même occasion[3]? Quant aux ouvrages imprimés par ordre d’en haut, je ne trouve guère à citer que des pièces d’une nature toute politique, la traduction, pendant la guerre de sept ans, des manifestes de l’impératrice-reine, ou d’une nature toute personnelle, si je puis ainsi dire, telles que les réponses de Lefranc de Pompignan aux railleries de Voltaire. Exceptons aussi les ouvrages qui sortaient des presses de l’Imprimerie du roi. Ceux-là, naturellement, étaient dispensés de toute censure. Buffon publia son Histoire naturelle sans ornement de privilège. Ce genre de faveur, au XVIIIe siècle, avait remplacé ce que nous avons signalé plus haut sous le nom de privilèges généraux. « Lorsque le roi veut honorer et gratifier spécialement un auteur, il ordonne que son ouvrage sera imprimé dans son imprimerie et lui fait présent de son édition[4]. »

  1. Bibl. nat., fonds français. Nouv. acq. n° 3531. Fréron devait payer en outre 2,400 livres au Journal des savans.
  2. Bibl. nat., fonds français. Nouv. acq. n° 3347. L’ouvrage dont il s’agissait était un Manuel de l’officier de cavalerie, signé du nom célèbre de Feuquières.
  3. Boissy d’Anglas, Essai sur la vie de Malesherbes, t. I, p. 395.
  4. J’emprunte le renseignement à l’article Imprimerie de l’Encyclopédie Une lettre de Malesherbes à Lefranc de Pompignan (Bibl. nat., fonds français, n° 22191) en confirme l’exactitude.