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qu’il faut toujours, en dépit de la morale, finir par en rire et se laisser désarmer. Si l’on n’est pas plus audacieusement impudent, on n’est pas plus spirituellement menteur. Voltaire, inimitable en tant de choses, ne l’est en rien plus que dans l’art de se sauver du mépris par une gambade et de l’odieux par la qualité de la bouffonnerie.

Un beau matin donc de 1755, M. de Malesherbes reçoit de Mme Denis une lettre éplorée. Le marquis de Ximenès, ce colonel dont on disait que, parmi les divers préposés aux diverses affaires de Voltaire, il avait le département des vilenies, a volé (c’est le mot dont elle se sert), parmi les papiers de la dame, dont il est ou fut un peu l’amant, un manuscrit de Voltaire. C’est l’Histoire de la guerre de 1741, — dans l’œuvre définitive, le Siècle de Louis XV. Le livre s’imprime à Paris chez le libraire Le Prieur. M. de Malesherbes est supplié de donner des ordres, comme dessus, pour arrêter l’édition et défendre le débit. Il s’informe, interroge ou fait interroger Ximenès, et répond assez sèchement :


Je n’ai aucune connaissance, madame, qu’on imprime le manuscrit dont vous vous plaignez; comme il n’est ni approuvé ni susceptible d*approbation, je ne pourrais le faire saisir et punir le libraire qui l’a entrepris. Ainsi vous sentez bien que je ne puis me mêler de la négociation que vous me proposez...

M. de Ximenès m’a assuré qu’il n’y avait aucune part, et comme je n’ai aucune raison de le soupçonner de m’en imposer, je ne doute pas de la vérité de ce qu’il m’a dit[1].


Cette réponse ne satisfait pas la veuve. Elle se plaint avec amertume, — et sans orthographe, — que Malesherbes ait « des préventions contre son oncle, » en quoi peut-être elle a raison; elle essaie de l’apitoyer et lui « ouvre son cœur déchiré, » ce qui laisse Malesherbes insensible; elle le supplie de ne pas croire Voltaire « capable d’actions indignes de son cœur, » comme si Malesherbes n’avait pas appris à connaître le personnage. Elle ajoute que l’admiration du président de la cour des aides est le prix le plus flatteur que son oncle « attende de quarante ans de travaux ; » j’omets les autres complimens qu’elle mêle à ses jérémiades, elle ne sait pas louer encore aussi subtilement que cet oncle incomparable. Malesherbes répond :


Tout ce que vous me mandez de l’impression que fait sur M. de Voltaire ma façon de penser est trop flatteur pour que je puisse le croire,

  1. Bibl. nat., fonds français. Nouv. acq,. n° 3346.