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1749, lorsque Diderot sortit de Vincennes[1]; — ce fut à la sollicitation des libraires de l’Encyclopédie, et pour travailler à l’Encyclopédie. qu’après trois mois de détention on le rendit à la liberté. Malesherbes n’était pas alors en situation d’intervenir. Mais, aussitôt qu’en possession de la direction de la librairie, cette grande, ou pour parler plus exactement, cette volumineuse entreprise, est l’une de celles qu’il prit sous son patronage immédiat. Les papiers de son cabinet nous attestent qu’il y voulut presque une part de collaboration. Et lorsque la publication des deux premiers volumes eut provoqué tout un grand parti contre les imprudens éditeurs, Diderot et d’Alembert, ce fut certainement Malesherbes qui les couvrit de sa réputation de droiture et de son autorité de magistrat. L’arrêt du conseil qui, le 7 février 1752, supprima les deux premiers volumes de l’Encyclopédie, très probablement aurait révoqué le privilège de tout l’ouvrage, si ce n’était Malesherbes qui eût proposé lui-même les termes de l’arrêt, et qui sut réussir à faire agréer le libellé de sa rédaction.

On avait adroitement lié, en 1752, le sort des deux premiers volumes de l’Encyclopédie au sort d’une thèse de Sorbonne, la thèse de l’abbé de Prades, où se trouvaient à vrai dire quelques propositions malsonnantes, susceptibles d’un assez mauvais sens, et capables, au surplus, d’inquiéter assez vivement une orthodoxie même peu scrupuleuse. On lia de la même manière, en 1758, le sort des cinq autres volumes parus au sort du livre de l’Esprit, de quoi nous pouvons nous indigner, mais non pas du moins nous étonner, puisqu’enfin Helvétius et l’abbé de Prades, l’un et l’autre, étaient au nombre des amis ou des collaborateurs de Diderot. Il eût fallu, comme en 1752, laisser faire à Malesherbes, qui se fût chargé de louvoyer et de leur gagner du temps. Ce fut le moment, au contraire, que Diderot choisit pour fixer l’attention sur lui par la publication de son Père de famille. L’ouvrage fut envoyé au censeur ordinaire de Diderot, M. de La Virotte, et, de son côté, Malesherbes, à mesure qu’on imprimait, se mit en devoir de le lire attentivement. Il demanda plusieurs corrections, auxquelles Diderot consentit, et le livre allait paraître, quand un accident brouilla tout. Le père de famille (au second acte, scène sixième) essaie d’émouvoir son fils au moyen du pathos qui suit : « Mon fils, il y aura bientôt vingt ans que je vous arrosai des premières larmes que vous m’ayez fait répandre. Mon cœur s’épanouit en voyant en vous un ami que la nature me donnait. Je vous reçus entre mes ])ras du sein de votre mère, et vous élevant vers le ciel, et mêlant ma voix à vos cris, je dis à Dieu : « Dieu! qui m’avez accordé cet enfant, si je manque aux soins que

  1. Où il avait été mis pour sa Lettre sur les aveugles.