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siècles plus tard, se chargèrent d’apprendre aux Romains comment on avait fait jadis la conquête de l’Orient.

On ne possédait cependant qu’un roman de plus; ce n’était pas encore la de l’histoire. Il est permis de supposer que les déclamations du rhéteur, si favorables qu’elles fussent à la renommée du roi d’Egypte, ne satisfirent pas complètement le lieutenant d’Alexandre. Solidement assis sur son trône après la bataille d’Ipsus, Ptolémée put tourner sa pensée vers les années où il apprenait à vaincre sous un capitaine incomparable. Personne n’avait encore raconté en militaire les sièges de Milet, d’Halicarnasse, de Tyr, de Gaza, les batailles du Granique, d’Issus et d’Arbèles, les opérations dont les montagnes des Uxiens et des Cosséens furent le théâtre, la poursuite de Bessus, la prise des forteresses de la Paropamisade ; Ptolémée résolut d’intervenir dans le débat demeuré ouvert. Il voulut y apporter le tribut de son expérience et de ses souvenirs, rappeler aux vétérans qui venaient de lui assurer la couronne, « les grandes choses que jadis ils avaient faites ensemble. » Ptolémée employa les dernières années de son règne à écrire et à publier ses Commentaires. Un roi auteur! cela ne s’était pas encore vu. Le récit du fils de Lagus fut bref, assure-t-on, dépouillé d’ornemens, froidement substantiel. Fut-il au moins de tout point sincère? Est-ce bien aux généraux de Napoléon qu’il faudrait s’adresser pour rectifier toutes les notions fausses dont tant de vains commérages nous ont imbus? Auront-ils la virile énergie de débarrasser une bonne fois de ces ronces la tunique tristement accrochée de la pauvre Clio? En dépit de sa compétence incontestable pour tout ce qui touche de près ou de loin à l’art de la guerre, Marmont ne nous laissera qu’un plaidoyer, — fort habile plaidoyer, j’en conviens, — pro domo sua; Bernadotte lui-même, Bernadotte, le Ptolémée que couronna la Suède, s’il eût pris la plume à son tour, aurait-il abjuré les rancunes d’Auerstaedt? Quel soldat, ayant à juger ses rivaux et son maître, aura l’âme assez magnanime pour oublier les compétitions des jours de triomphe, les inévitables amertumes des heures de détresse? La jalousie mutuelle est la plaie des armées, et c’est presque toujours aux dépens de l’objet aimé qu’elle s’exerce. Je n’aurais voulu accepter, pour ma part, les récits de Ptolémée que sous bénéfice d’inventaire ; il n’en est pas moins vrai qu’aux yeux des hommes du métier, l’œuvre personnelle du souverain de l’Egypte dut avoir une tout autre valeur que les amplifications rédigées après coup par des personnages étrangers aux secrets de l’état-major.

Est-ce dans Alexandre le capitaine que vous désirez connaître? Consultez Ptolémée ! Est-ce l’homme? Fiez-vous-en plutôt au bon sens d’Aristobule. La justice du ciel devait susciter ce tardif vengeur à la mémoire calomniée d’Alexandre. C’est à l’âge de quatre-vingt-quatre