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Il voulait prudemment reconnaître le terrain à l’avance et s’assurer que les insurgés conservaient bien toute leur sécurité. Quelque avis indiscret aurait pu, en effet, arriver jusqu’à eux ; les Français sont bavards et les Taïtiennes sont adroites. Parti à huit heures du matin, Maïroto devait être de retour vers midi. À une heure et quart, le commandant Bonard écrivit : « Le guide que vous m’avez donné, s’il n’a pas été pris ou tué, doit être passé à l’ennemi. » À cinq heures du soir, ce guide si injustement soupçonné arriva au camp. Il était exténué de fatigue, mais il avait tout vérifié : le sentier était intact, aucun retranchement ne l’interceptait, l’ennemi demeurait sans défiance. Le commandant Bonard décida qu’on attaquerait le lendemain : 30 Indiens avec Tariirii, 4 artilleurs, 23 soldats d’infanterie et 10 marins, sous les ordres du second-maître Bernaud, s’offrirent volontairement à courir l’aventure. On en courut rarement de plus périlleuse. Le piton qu’il fallait gravir se dressait sur le flanc gauche du piton de Fatahua ; il se dressait jusqu’à une hauteur de plus de 600 mètres. Quelques arbres rabougris, penchés sur l’abîme, sortaient presque horizontalement des fissures de la roche ; quelques touffes de jonc apparaissaient de distance en distance sur la paroi polie ; le cône d’éruption ne présentait pas sur toute sa surface d’autre prise. Soixante-huit hommes formaient le détachement : ils laissent au pied de la montagne sacs et habits ; ils graviront le pic entièrement nus, n’emportant que leurs fusils et quelques paquets de cartouches. — Capite atque pedibus nudis, dit Salluste… super terga gladii et scuta. Ils se mettent en marche à cinq heures du matin ; le commandant Bonard les suit avec les gabiers de l’Uranie. Le détachement, nous l’avons déjà dit, a plus de 600 mètres à gravir ; sur ces 600 mètres, il en est 150 qui ne peuvent se gravir qu’à force de bras. Qu’en auraient pensé Chirisophe et Xénophon ? Des cordes à nœuds et des échelles de cordes sont attachées aux arbustes par le guide et par les Indiens. En Mauritanie, ce fut un Ligurien, simple soldat des cohortes auxiliaires, qui se chargea de rendre ce service aux soldats de Marius. — Progrediens Ligus saxa et si quæ vetustate radices eminebant, laqueis vinciebat. Ne me reprochez pas trop durement ces rapprochemens ; Richelieu marchait à l’ennemi, son Quinte-Curce à la main. Pendant ce temps, le capitaine Massé, dirigé par l’Indien Vaïtotia, s’avançait avec précaution vers le pied du fort. Son but était d’attirer et de retenir de ce côté l’attention des insurgés. Quand il eut soigneusement exploré la vallée, placé des sentinelles à tous les débouchés, il jugea le moment venu d’ouvrir le feu. Les Taïtiens, étonnés de cette attaque soudaine, y répondent d’en haut par une vive fusillade et par un déluge de pierres. À midi, le capitaine Massé écrit au gouverneur : « Je n’aperçois encore ni les Indiens de Tariirii, ni nos