Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demander un bateau à vapeur pour la transporter de Blaye à Palerme : on ne put disposer que d’une frégate: « Pourvu que nos ministres, s’écria-t-elle, n’aillent pas m’envoyer la Gloire : c’est la vieille Duchesse-de-Berry débaptisée aux glorieuses. J’ai assez de guignon pour tomber sur celle-là. Convenez que ce serait taquinant. » Il y avait aussi des précautions à prendre. Ce fut encore une affaire, et une affaire délicate que le choix des dames d’honneur et des gentilshommes qui accompagneraient la princesse à Palerme. Enfin elle quitta Blaye le samedi 8 juin 1833. Voici le récit de son embarquement.


Samedi, 8 juin.

Voici un nouveau chapitre de cette histoire. Mme la duchesse de Berry hors de ces murailles, à l’abri des prescriptions du ministre de l’intérieur, ne relevant plus directement de M. le général Bugeaud, va probablement se montrer sous un jour nouveau, prendre de nouvelles allures, et très probablement aussi ses rapports avec tout son entourage vont subir des changemens notables. Voyons, examinons, tenons-nous sur nos gardes. On oublie bien vite ceux dont on n’a plus besoin. Je suis bien décidé à me tenir à l’écart, à laisser la princesse venir jusqu’à moi si cela lui convient; moi aussi je lui rends sa liberté et, tout en restant à sa disposition, le cas échéant, j’attendrai que l’on m’appelle.

Je me suis levé avec le jour, j’ai voulu parcourir encore une fois cette citadelle que je sais par cœur, dire un dernier adieu à une foule de lieux, de choses et de gens parmi lesquels je vis depuis près de quatre mois ; cette visite générale m’a prouvé que je laissais ici des amis dont le souvenir me sera cher. Il y a, parmi nos officiers du 64e plusieurs hommes que je ne quitterai pas sans regret; les charmantes perspectives d’un voyage en Italie ne m’empêchent pas de sentir l’amertume de cette séparation.

Un dernier déjeuner nous a réunis à la table du général Bugeaud, et tout s’est fort bien passé entre les nombreux convives. La clôture définitive de notre grande affaire a rapproché des individus qui ne sympathisaient guère; on a porté des santés réciproques et réconciliantes, on a échangé des poignées de main, enfin, tout le monde a paru content.

Je n’ai vu qu’un instant Mme la duchesse de Berry, qui m’a paru encore plus soucieuse qu’hier. Mlle Lebeschu pleurait tout de bon, Mme Hansler avait les yeux fort rouges; Mme d’Hautefort, qui se dispose à nous accompagner jusqu’au vaisseau, pousse des hélas! dont je ne comprends pas la cause. M. de Mesnard, parfaitement calme, dirige les dernières dispositions du départ. Quant à M. Deneux, perdu dans l’arrangement de ses bagages, il s’abandonne aux soins