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punit le mal. Ici commençaient les objections sans issue. Le juste étant le favori de Dieu, l’homme injuste étant l’objet de sa haine et de son dégoût, comment se fait-il que souvent le juste soit malheureux, persécuté ? comment se fait-il que le méchant prospère et soit, après sa mort, conduit au tombeau avec toutes les marques de l’honorabilité ? Voilà le problème qui, depuis mille ans peut-être avant Jésus-Christ jusqu’en plein moyen âge, n’a jamais cessé de troubler Israël. Et certes il y avait de quoi. L’antinomie que les sages d’Israël cherchent à dissimuler le plus qu’ils peuvent est de celles qui crèvent les yeux. La nature est l’injustice même ; la société, reflet de la nature, est, malgré les très petites réparations exercées par le sentiment de droiture qui est en l’homme, un tissu d’erreurs et de violations de la justice. S’il n’y a pas une autre vie pour réparer les iniquités de celle-ci, soutenir que Dieu est juste et ami du bien est le plus puéril des paradoxes ou la plus niaise des contre-vérités.

Voilà l’idée mère, on peut le dire, de tout le mouvement hébraïque, la cause inspiratrice de toutes les révolutions qui se sont produites dans le sein du peuple d’Israël. Les sages de la vieille école soutenaient avec une imperturbable naïveté que la vertu est toujours ici-bas récompensée et le vice puni. L’adversité qui frappe l’homme de bien n’est qu’une épreuve passagère. Telle est la théorie qui fait le fond du livre de Job, des Proverbes, de beaucoup de psaumes, de la Sagesse de Jésus, fils de Sirach, du livre d’Esther, de Judith, de Tobie, etc. Les prophètes et certains psalmistes n’ont pas une sagesse tout à fait aussi calme. L’auteur du psaume LXXIII[1] éprouve des mouvemens de jalousie féroce « en voyant la paix des pécheurs. » Ces pieux zélotes sont pris d’accès de rage à la vue des choses humaines. La prospérité des méchans les irrite et les porte à des appels désespérés. Dieu sommeille ; mais Dieu aura son jour, ses grandes assises en quelque sorte, où il redressera le monde et mettra tout dans le droit chemin.

« Le jour de Jéhovah » devient ainsi le point de mire de la conscience froissée d’Israël. Le monde actuel est l’injustice même ; mais la justice régnera un jour. Il y aura un règne de Dieu, qui sera le règne des saints, le règne de l’idéal juif sur un monde renouvelé. La crise extraordinaire du temps des Macchabées vint donner à cette conviction les formes messianiques et apocalyptiques. La résurrection était devenue nécessaire. Ces martyrs qui souffrent la mort la plus cruelle pour rester fidèles à la Thora, comment soutenir qu’ils ont leur rémunération ici-bas ? Une récompense spéciale est conçue pour les martyrs. Pendant mille ans, ils

  1. Verset 3.