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aussi dans la traduction grecque, maintenant perdue, de l’Apocalypse d’Esdras, ouvrage de la fin du Ier siècle de notre ère[1].

Il semble donc que le Cohélet ne fut traduit en grec que vers l’an 130 après Jésus-Christ. Cela coïncide avec ce fait qu’on n’en trouve aucune citation chez les écrivains chrétiens du Ier et du IIe siècle. Pourquoi le Cohélet a-t-il été traduit si tardivement, quand tous les autres écrits hébreux ont passé en grec au IIIe et au IIe siècle avant Jésus-Christ ? Probablement parce qu’il ne faisait pas partie de la Bible à cette époque ; peut-être même parce qu’il n’était pas encore composé[2].

Les derniers versets, enfin, présentent quelques particularités qui conduisent à considérer le livre comme le plus moderne des écrits de la Bible hébraïque. M. Nahman Krochmal remarqua le premier que l’ouvrage se terminait en réalité au verset 10 du chapitre XII. Les deux versets qui suivent n’ont aucun rapport avec l’ouvrage et ont dû servir de clausule finale au recueil biblique, quand le Cohélet formait les dernières pages du volume. Ce n’est point par hasard que ce petit quatrain se trouve fixé à la fin de notre livre, et non à la fin des Chroniques, ou d’Esther ou de Daniel, qui, eux aussi, ont longtemps traîné aux derniers feuillets du volume sacré. L’addition de notre livre au Canon paraît donc un fait récent et dont les traces se laissent encore apercevoir.

Le livre ne renferme pas un grand nombre de traits qui puissent servir à tracer le tableau du temps où vivait l’auteur. On voit bien, à son état d’âme, que les vieilles mœurs étaient perdues. La famille est détruite ; la femme, à la suite des scandales de l’époque séleucide et à la veille des effroyables crimes domestiques de l’âge hérodien, est devenue un fléau. Ce qui soutenait l’ancien sage quand sa philosophie était trop ébranlée, c’était l’espérance de se survivre en ses enfans. La postérité le consolait de la fragilité de la vie individuelle. Notre auteur voit dans cette façon de raisonner une amère duperie. Que sait-on de ses enfans ? Ce seront peut-être des sots, qui vous couvriront de honte et démoliront ce que vous avez cherché à édifier. Le vrai commentaire du Cohélet, ce sont les livres XII et XIII des Antiquités de Josèphe, ce tissu de crimes et de bassesses qui, surtout depuis l’an 200 (av. J.-C.) à peu près, compose l’histoire de la Palestine. Les hasidim échappaient à la réalité par leurs rêves messianiques ; notre auteur y échappe par son fatalisme résigné et par son goût de la vie raffinée.

  1. Ch. VI, 59, cum seculo, qui est sûrement la traduction de σὺν τὸν αἰῶνα. Voir l’Église chrétienne, p. 120-122.
  2. Il n’est nullement sûr que le Cohélet fît partie de la supputation générale des livres saints donnée par Josèphe (Contre Apion, I, 8.)