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Le temple de Jérusalem existait quand le livre fut écrit, et le culte y florissait[1]. Le sacerdoce était organisé avec un certain pouvoir temporel[2]. Il y avait des piétistes zélés, qui exagéraient les prescriptions et faussaient la religion par un zèle et une austérité outrés. Jérusalem était le siège d’une royauté et d’une cour[3] où les gens un peu notables de la ville aspiraient à briller. Les dynasties et les villes indépendantes pullulaient en Syrie[4] elles se faisaient des guerres sans fin. Une petite ville pouvait avoir un siège à soutenir. Il semble qu’aucun grand pouvoir comme celui des Achéménides, ou d’Alexandre, ou des Ptolémées, ou des Séleucides, ne se faisait sentir[5].

Le moment où un pareil état social de la Judée et de l’Orient nous reporte est vers l’an 125 avant Jésus-Christ. Le pouvoir des Séleucides s’était effondré et avait laissé la place à de petites dynasties locales, à des villes autonomes[6]. La royauté d’Israël s’était relevée par les Asmonéens. Bien que sortie d’un fanatisme brûlant, cette dynastie, surtout après sa rupture avec les pharisiens sous Jean Hyrcan, devint bientôt assez profane. Alexandre Jannée et Jean Hyrcan sont des rois comme d’autres, religieux par habitude et par politique, cruels, avides, méchans, au fond très peu dévots. C’est le temps des hasidim et le commencement des sectes comme les esséniens, qui, justement par réaction contre la perversion du monde, introduisent dans l’israélitisme un esprit de mysticité inconnu jusque-là. Ces gens qualifiés de «sots»[7], qui se livraient aux pratiques d’un ascétisme exalté, à des abstinences inutiles, qui se préoccupaient vainement de l’avenir et de ce qui arrive après la mort, qui trouvaient mauvais que l’homme jouît tranquillement de l’aisance qu’il avait acquise par un travail honnête, étaient probablement les premiers en date de ces fous du royaume de Dieu dont la folie allait gagner le monde et que notre auteur ou ses pareils devaient accueillir de tous leurs dédains.

S’il fallait s’arrêter à une date, c’est vers ce temps, une centaine d’années avant la naissance de Jésus, que je placerais la composition du Cohélet. L’auteur fut peut-être quelque arrière-grand-père d’Anne

  1. IV, 17 et suiv.
  2. Ch. V, 5.
  3. Ch. VIII, 1 et suiv.
  4. Ch. IX, 14 et suiv. Les allusions précises que M. Hilzig et M. Grætz trouvent dans ces passages résultent de combinaisons arbitraires ou hasardées.
  5. Le mot medina pour désigner une province (V, 7) et le fait d’esclaves gouverneurs et hauts fonctionnaires (X, 7, 16) seraient plutôt caractéristiques de l’époque perse; mais l’état administratif de l’Orient n’a jamais beaucoup varié.
  6. Qu’on se rappelle toutes ces ères de villes autonomes qui datent, en Syrie, de l’an 125 à peu près.
  7. IV,17; V, 3.