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à expliquer le texte tel qu’il est, même quand notoirement il est corrompu, paraîtra puérile. Mais l’école qui substitue arbitrairement des leçons commodes à tout ce qui l’embarrasse ne sera pas moins condamnée. A défaut de la comparaison des manuscrits, qui, en ce qui touche la Bible, est inféconde ou épuisée, un seul moyen reste à la critique pour tâcher de retrouver le texte primitif de ces antiques livres, dont quelques-uns ont été fortement viciés par les copistes : c’est de se les figurer écrits dans l’alphabet où ils furent composés et où ils subirent leurs premières aventures. De la sorte on arrive à des conjectures plausibles, quelquefois certaines, et beaucoup de doutes peuvent être levés.

Le texte, du reste, nous aurait été conservé lettre pour lettre tel qu’il fut écrit par son auteur, que de grandes difficultés resteraient encore. Les idées de l’auteur sont d’un ordre assez simple et ne demandent, pour être comprises, aucun effort de métaphysique. Mais sa langue est singulièrement embarrassée. Il procède par petites retouches successives. Au lieu du grand style synthétique de Platon et d’Aristote, son hébreu est comme un entassement de pierres sèches, sans ciment. L’auteur est un esprit cultivé, qui ne trouve sous sa main qu’un idiome rebelle au but qu’il se propose. L’hébreu, aux VIIIe, VIIe et VIe siècles avant Jésus-Christ, avait produit des chefs-d’œuvre que l’humanité devait adopter comme des inspirations divines ; mais cette littérature classique était très limitée. Elle n’avait rien qui pût s’appeler science ou philosophie. Admirable pour l’expression de la passion, l’hébreu n’a aucune souplesse pour le raisonnement. L’arabe, au Xie et au XIIe siècle de notre ère, se trouva dans le même embarras. On le fit servir à l’expression d’idées pour lesquelles il n’avait pas été créé. De là une extrême gaucherie. Sauf les momens où ils s’échappent dans le mysticisme, les philosophes arabes sont de mauvais écrivains. Les langues sémitiques ne se prêtent nullement à l’expression d’idées enchevêtrées. Elles recherchent le trait vif, l’étincelle; elles décomposent le raisonnement et en étalent les membres. Supposons Descartes pourvu d’un tel instrument, où serait le Discours sur la méthode? Que deviendrait en un tel idiome la phrase suivante de Spinoza?


L’expérience m’ayant appris à reconnaître que tous les événemens de la vie commune sont choses vaines et futiles, que tous les objets de nos craintes n’ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractère qu’autant que l’âme en est touchée, j’ai pris enfin la résolution de rechercher s’il existe un bien véritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l’âme tout entière, après qu’elle a rejeté tous les autres biens, un bien, en un