Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/755

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toutes les traductions de l’Ecclésiaste ont en quelques endroits un air gauche et incohérent. Dans l’hypothèse où c’est l’auteur lui-même qui rompt sa trame pour y broder une sorte d’applique, on obtient un texte bien plus satisfaisant. Il en résulte même un certain charme : ces petites parenthèses enlèvent à la prose un sérieux trop prolongé ; elles détournent le lecteur de la fausse idée qu’un raisonnement rigoureux se cache sous ces légères fioritures. Quelquefois, en effet, le lien logique manque tout à fait; ce sont des coups d’archet, de légères ritournelles de violon, uniquement destinés à séparer des paragraphes, ou de simples roses jetées en passant, comme ces fleurettes qui émaillent les interlignes d’un manuscrit persan du XVIe siècle.

Mais comment rendre sensible, dans une traduction, ce passage de la prose aux citations en vers? D’ordinaire, pour exprimer le rythme de la poésie parabolique, il suffit de conserver la coupe parallèle des distiques. Dans le livre de Job, par exemple, une bonne traduction française est presque aussi rythmée que l’original. Il n’en serait pas de même dans Cohélet. Le parallélisme est ici très faible. Le rythme des vers cités consiste principalement en quelque chose de sautillant, de léger, de prétentieusement élégant. Pour rendre ce caractère, j’ai essayé les mètres anciens de notre poésie, avec un minimum de rime ou plutôt d’assonance. Je prie les poètes exquis de notre temps de ne pas croire que j’aie voulu marcher sur leurs brisées. Je n’ai songé en rien à lutter avec leurs harmonieuses mélopées. Il s’agissait décalquer en français des sentences conçues dans le ton dégagé, goguenard et prudhomme à la fois de Pibrac, de Marculfe ou de Chatonnet, de produire une saveur analogue à celle de nos quatrains de moralités ou de nos vieux proverbes en bouts-rimés. La rime est, après tout, la jonglerie qui ressemble le plus au procédé de Cohélet, à ces mots lancés en l’air, retombant, rattrapés avec une prestesse vertigineuse. Il m’a été impossible de faire comprendre autrement le tour funambulesque de certaines boutades transcendantes, surtout du morceau sur la vieillesse, sorte de joujou funèbre qu’on dirait ciselé par Banville ou Théophile Gautier, et que je trouve supérieur même aux quatrains de Khayyâm. Pour le reste de l’ouvrage, j’ai cru, au moyen de petits couplets, touchant d’un côté à la platitude, de l’autre à la gaudriole, allant de La Palisse à Pibrac, j’ai cru, dis-je, être dans le ton de mon original, tour à tour éloquent et ironique, sérieux et railleur. C’est en pareil cas que l’on sent combien la traduction littérale peut être la pire des trahisons. Voilà un morceau de haute volée littéraire, dénué de toute intention dogmatique, que vous traduisez pédantesquement en lourde prose de théologien pour la plus grande satisfaction des scolastiques. Quel