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Pendant que nous sommes tout yeux à ce spectacle, nous avons à peine remarqué que le paquebot a stoppé quelques instans. Aussi sommes-nous surpris de voir grimper sur le toit du rouffle où nous nous tenons réunis, un grand escogriffe, orné d’une barbe dont la longueur est égale à la hauteur de son chapeau, qui, un crayon et un morceau de papier à la main, se met tranquillement à nous demander nos noms. C’est un reporter, le premier échantillon d’une race avec laquelle nous allons faire ample connaissance. Il est arrivé bon premier sur ses confrères grâce à l’idée qu’il a eue de s’embarquer sur le bateau de la santé qui est venu nous accoster. Mais avant qu’il ait fini son interrogatoire, nous voyons se diriger vers nous un canot à vapeur couvert d’un toit arrondi que, de loin, on pourrait prendre pour un gros berceau roulant sur les flots. Ce canot porte un officier envoyé par l’amiral américain dont la frégate est à l’ancre dans la rade. Cet officier est chargé de nous annoncer que l’amiral ne peut, comme cela était convenu, nous prendre à son bord pour nous faire faire un débarquement solennel, mais que les honneurs maritimes vont nous être rendus. En effet, à un signal, nous voyons les matelots de la frégate grimper rapidement dans les vergues et s’échelonner sur les haubans, où ils se tiennent ensuite immobiles, pendant que le pavillon français est hissé au mât de misaine et que les canons envoient des salves. Les frégates françaises qui sont également à l’ancre dans la rade répondent par d’autres détonations. Un grand nombre de bâtimens de commerce hissent à leur tour notre drapeau. Les passagers des bateaux à vapeur qui se croisent en tous sens dans la baie nous saluent en agitant leurs mouchoirs. Enfin notre réception prend quelque chose de tout à fait solennel. Il s’agit cependant de nous faire débarquer. Un petit vapeur qui appartient à la Compagnie transatlantique vient nous chercher. Sur ce bateau se trouvent des reporters, naturellement, et, ce qui nous est plus agréable, quelques-uns des membres du comité nommé par le gouverneur de New-York pour nous recevoir. Nous faisons rapidement connaissance, nous remercions l’excellent capitaine du Canada qui nous a si heureusement conduits à bon port, je m’attarde un moment pour mon compte à serrer la main à l’aimable ménage dont j’avais fait la connaissance, et je rejoins mes compagnons sur le petit vapeur qui, en quelques tours de roues, nous amène non point au lieu ordinaire où accostent les transatlantiques, mais dans une sorte de grande remise couverte où stationnent des voitures. Là, deux dames qui attendent depuis le matin, en dépit du vent et du froid, reçoivent Mme de Rochambeau, et nous apprenons que, pour être sûr de ne pas manquer notre arrivée, plusieurs membres du comité ont passé la nuit sur des matelas dans un bureau voisin. Nous montons en voiture,