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loi. Tous les malheurs se sont abattus à la fois sur elle. Il faut espérer qu’elle trouvera cette année quelques soulagemens à ces malheurs. La récolte sera bonne et, dans ces contrées merveilleuses de l’Orient, une bonne récolte rachète bien des misères. Cependant l’avenir se présente toujours sous l’aspect le plus sombre. La Turquie n’a rien fait et certainement elle ne fera rien pour remettre quelque ordre dans ses finances. J’ai déjà dit que les agens qu’elle avait appelés d’Allemagne n’avaient aucune autorité, qu’on les consultait à peine, qu’ils étaient d’ailleurs trop peu nombreux pour réformer un système financier qu’il faudrait modifier de fond en comble. Tout récemment encore, un journal de Constantinople, qui, bien qu’officieux, a parfois des lueurs de bon sens, le Vakit, déclarait que la Turquie ne se relèverait jamais sans demander à l’Europe des fonctionnaires instruits et honnêtes ; il proposait de prendre parmi les Européens tous les chefs de service et de leur donner une entière liberté d’action. C’était fort bien ; mais, même en admettant que les idées du Vakit fussent acceptées elles ne pourraient être appliquées efficacement que si le service des finances en entier était réorganisé d’après des principes tout différens de ceux d’aujourd’hui. On ignore absolument ce que c’est qu’un budget en Turquie. Le gouvernement publie bien, de temps en temps, de magnifiques rapports remplis de belles phrases sur la science financière, de projets séduisans d’économie, de chiffres assez habilement alignés pour produire des apparences d’équilibre ou même d’excédens ; mais il suffit de jeter les yeux sur ces œuvres pompeuses pour reconnaître qu’elles ne contiennent aucun renseignement sérieux, aucun calcul exact, qu’elles sont absolument factices et fictives. Elles ressemblent à l’architecture turque, où tout est ornemens, festons, astragales, mais où la solidité et la vraie beauté n’existent pas. Ce qu’on décore du nom de budget à Constantinople ferait pitié à nos moindres comptables et a tout juste la valeur d’une circulaire turque sur les projets de réformes et de libertés à accorder aux provinces de l’empire.

Voici comment les choses se passent dans la pratique. Au commencement de l’année, on établit en gros les recettes et les dépenses générales, puis on assigne à chaque ministère la somme qui doit lui revenir en particulier. Cette opération faite, le ministère des finances délivre à chacun des autres ministères une quantité d’assignats, nommés havaley, qui correspond à la somme qu’on lui a allouée. Ces havaley sont assurément une des inventions financières les plus originales dont aucun peuple se soit avisé. Tandis que partout ailleurs qu’en Turquie les impôts forment en quelque sorte une masse commune perçue par une administration unique qui verse ensuite