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d’autre part, la mise en œuvre. La lecture de ce petit volume inspire le respect de la science historique. Cette œuvre immense, infiniment variée dans le détail, mais qui présente un ensemble ordonné, ne peut point ne pas avoir atteint son objet, qui est la découverte de la vérité; c’est la première pensée qui vienne à l’esprit. On s’aperçoit aussi qu’il existe en Allemagne une organisation du travail. On relève des noms de sociétés qui ont été fondées soit pour publier les documens, soit pour les critiquer, soit pour en tirer l’histoire d’une institution, d’une ville, d’une province, d’un état, d’une période. On découvre une filiation entre des œuvres d’hommes qui ont été instruits au même atelier. Des associations de maîtres et d’élèves, d’historiens proprement dits et de juristes, de philologues, de philosophes, de théologiens, d’artistes, tous pénétrés et guidés par l’esprit historique, se sont prêté un appui mutuel et sont arrivées par la persévérance et l’union dans l’effort à éclairer les questions difficiles et à résoudre les problèmes solubles.

Un pareil livre n’existe pas en France. On est réduit à s’informer comme on peut, presque au hasard et au jour le jour, dans des bulletins bibliographiques et dans des catalogues de bibliothèques ou de librairies. Si le personnage que nous avons supposé tout à l’heure veut s’adresser à des personnes, à défaut de guides écrits, il les verra isolées les unes des autres, enfermées dans leurs cabinets, accablées sous le poids de telle ou telle tâche et disposées à trouver déraisonnable la curiosité du visiteur. « Vous voulez savoir, lui dira-t-on, quelle était à l’origine l’organisation de la société française; comment les droits de l’état sont tombés dans l’appropriation privée, et comment ils ont fait retour à l’état; ce qu’était alors un juge, au nom de qui et selon quelle loi il jugeait ; comment gouvernaient les premiers Capétiens; ce que signifient leurs ordonnances ; lesquelles étaient pour le domaine, lesquelles pour le royaume; jusqu’à quel point elles ont été obéies; quels étaient les moyens de contrainte et le châtiment de la désobéissance; mais vous n’êtes point difficile, vraiment ! Moi à qui vous parlez, je voudrais le savoir aussi. Croyez-vous donc que j’aie pu apprendre à moi seul toute l’histoire du pouvoir royal, toute celle des provinces de France? Nous sommes quelques travailleurs, mais nous ne nous connaissons pas les uns les autres. Faute d’entente réciproque et d’informations, il nous arrive de refaire des recherches déjà faites, perdant ainsi le bénéfice de l’acquis. Nous sommes d’ailleurs trop peu nombreux. Pour venir m’interroger sur l’histoire de la France, attendez qu’elle soit faite. »

Ce dernier mot, qui a été dit en effet, et par quelqu’un qui saurait l’histoire de France si on pouvait la savoir, est exact rigoureusement.