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d’efforts; puis ils ont affronté le difficile concours de l’agrégation d’histoire, et les premiers échecs ne les ont pas découragés. Quand ils auront enfin touché le but, leurs cheveux grisonneront, lis pourront être de bons professeurs ; mais pour devenir des historiens, il leur reste trop à faire. Tous les cinq nous ont avoué qu’ils n’avaient fait aucun travail personnel; qu’ils s’étaient instruits dans des livres de seconde ou de troisième main ; qu’ils avaient exercé leur critique à comparer des manuels les uns aux autres ; qu’ils n’avaient jamais étudié un document; d’ailleurs, les documens inédits de l’histoire ancienne et de l’histoire du moyen âge leur étaient inaccessibles, personne ne leur ayant parlé d’épigraphie, ni de paléographie, ni de diplomatique; personne ne leur ayant enseigné les règles de la critique des textes. Ce n’est point leur faute, évidemment, s’ils achèvent leur carrière sans avoir payé à la science le plus petit tribut personnel.

On a réservé tout à l’heure l’École normale, l’Ecole des chartes, et l’École des hautes études. Toutes trois rendent de grands services, mais aucune d’elles ne forme un historien complet. La culture est trop générale à l’École normale, qui prépare surtout au professorat : elle est trop particulière à l’École des chartes et à l’École des hautes études, qui préparent surtout aux travaux d’érudition. Un normalien reçoit de ses maîtres et il acquiert par lui-même, par son travail et par le contact de ses camarades, recrutés comme lui dans l’élite des élèves de l’enseignement secondaire, une éducation littéraire qui le rend propre à tout travail, en affinant l’instrument intellectuel ; mais le futur professeur d’histoire emploie une première année à se préparer à la licence ès-lettres ; sur la seconde année, qui est consacrée à l’étude des littératures, de la philosophie et de l’histoire, il prélève le plus de temps possible pour ses études historiques; mais, au vrai, il n’a qu’une année qui lui appartienne, la troisième. Ce n’est pas assez. Il n’a point le temps d’acquérir les vastes connaissances bibliographiques nécessaires ni de faire ce long et tranquille usage des documens qui forme l’esprit à la critique et y enracine le goût et l’habitude du travail personnel. N’est-il pas invraisemblable que l’on ne donne à l’École normale que depuis quatre années des notions de paléographie et qu’on ait laissé partir tant de générations de professeurs incapables de mettre en œuvre les documens qui gardent, sous la poussière des archives et des bibliothèques, de précieuses parcelles de vérités historiques et parfois des vérités entières? Sans doute, il faut admettre que le professeur sorti de l’École normale continuera de travailler, faire cas de sa valeur personnelle et beaucoup espérer de son initiative; mais ne comptions-nous pas ainsi sur les qualités natives de nos soldats et de nos officiers, sur leur