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manufactures fondées par Colbert, mais ne répondront jamais à une question, même facile, sur les lois et coutumes du travail en France, au temps où Colbert en était le grand ordonnateur. Pourtant les lois du travail, cette source de la richesse et aussi du progrès de l’esprit, cette cause effective des transformations sociales et politiques, c’est encore de l’histoire apparemment. Et toujours le candidat demeure muet quand on l’interroge sur les vrais faits de la véritable histoire. Il n’est pas arrivé une seule fois qu’on m’ait répondu à cette question : « Qu’est-ce que les états-généraux, et que signifie le mot état? » On dirait que l’ancienne société française soit morte depuis des siècles, et qu’on n’y puisse rien trouver qui mérite une étude.

Que se passe-t-il donc, après quelques années écoulées, dans ces têtes mal instruites? Les vagues souvenirs deviennent plus vagues; les rares traits connus des figures historiques s’effacent; les compartimens du cadre chronologique cèdent : Clovis, Charlemagne, saint Louis, Henri IV tombent de leur place, comme des portraits suspendus par un clou fragile à un mur de plâtre; ils errent dans ces mémoires confuses où le brouillard s’épaissit en ténèbres, et ces écoliers sont des Français en vertu du hasard qui les a fait naître en France, mais ils vivront comme des étrangers parmi les monumens de leurs ancêtres.

Bien autre sera le résultat, lorsque tous les professeurs d’histoire auront reçu l’éducation historique et, s’adressant à la raison autant qu’à la mémoire des élèves, les introduiront dans l’intimité de l’histoire. Il ne s’agit pas d’initier des enfans à l’érudition, ni de leur prêcher une philosophie de l’histoire en substituant aux faits des sentences qui seraient à peine intelligibles à des hommes et à des hommes intelligens. Il s’agit de choisir les faits, de laisser tomber les menus et les inutiles, de jeter toute la lumière sur ceux dont la connaissance importe et d’en dérouler la série, de façon que l’écolier sache comment a vécu la France. On dit que l’histoire des mœurs et des institutions ne peut être enseignée à des écoliers. Non, elle ne peut être enseignée par termes abstraits, par des phrases et des théories ; mais à tous les momens de la vie française se trouvent des faits, même des anecdotes qui expliquent les choses, et il y a une pédagogie de l’enseignement historique : c’est non point une science rébarbative, mais l’art de placer l’écolier au point exact d’où il verra bien et comprendra vite. Il serait ridicule de dépouiller devant un enfant des chartes et des cartulaires pour y chercher la condition des terres et des personnes, mais il est possible de décrire simplement cette condition en se servant des mots connus et des notions élémentaires que possède tout enfant sur la