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vaincu, ce ne sont guère de meilleurs politiques que Cambyse qui perdit l’Égypte pour avoir outragé sottement le culte du bœuf Apis. « Alexandre, déclamait pendant ce temps Callisthène, souviens-toi de la Grèce ! C’est pour soumettre l’Asie à la Grèce que cette expédition a été entreprise. » De quel côté trouverons-nous ici l’esprit vraiment philosophique ? Du côté du rhéteur ou du côté du roi ? Je ne puis m’empêcher de plaindre Alexandre sans cesse averti par de tels discours de l’inutilité des efforts qu’il tentait pour fondre les deux races. On a prêté des propos plus séditieux encore à Callisthène, des excitations directes à l’assassinat. Callisthène n’avait pas besoin d’être si criminel pour être dangereux. Il était le blâme en personne ; sa contenance seule parlait pour lui.

Cratère poursuivait les derniers révoltés de la Sogdiane, et Alexandre se préparait à reparaître sur le versant méridional du Paropamisus, quand, à la consternation générale, un nouveau complot est découvert. Jamais trame plus habile et plus audacieuse n’a mis en danger les jours du roi. Sans la protection manifeste des dieux Alexandre était inévitablement ravi à l’armée. Qui donc put concevoir cet horrible dessein ? On eût nommé quelque vétéran aigri par la jalousie comme Clitus, ou fatigué d’un ingrat labeur, comme Hégéloque, que personne n’eût songé dans le camp à s’étonner ; mais ce n’est pas au sein de ces vieilles troupes que se sont rencontrés les conspirateurs. Le corps des adolescens, troupe composée de jeunes gens choisis dans les meilleurs familles, avait été créé par Philippe pour protéger le sommeil du roi ; c’est parmi les adolescens que la trahison a recruté de précoces adeptes. Détestable influence de ces déclamations creuses qui ont fait éclore des passions qu’à coup sûr elles n’avaient pas l’intention de couver ! Hermolaüs, épris de l’éloquence et de la philosophie de Callisthène, habitué à boire ses paroles, a été, dit-on, de la part d’Alexandre, l’objet d’un châtiment immérité. On l’a fouetté comme il n’y a pas soixante ans on fouettait encore les midshipmen anglais. L’ardeur de son ressentiment lui inspire soudain l’idée de la vengeance. Les complices sont bientôt trouvés. Tout ce qui est mystère flatte le besoin d’importance d’un page, et l’orgueilleuse pensée de devenir les vengeurs de la Grèce, de prendre place à côté d’Harmodius et d’Aristogiton, dissimule à ces jeunes esprits l’horreur du crime qu’ils s’apprêtent à commettre. Pendant trente-deux jours, Sostrate, Nicostrate, Antipater, Asclépiodore, Philotas, Anticlès, Elaptonius, Épiménès, tous adolescens comme Hermolaûs, mûrissent le plan de leur agression. Un complot de collégiens est à la veille de livrer l’armée aux barbares et le monde troublé à l’anarchie. Pour que l’odieux projet s’accomplisse, il faut que tous les conjurés se trouvent de service la même nuit. Plus d’un mois s’écoule avant que cette circonstance