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que le plus sûr moyen d’arriver à la célébrité est de mettre à mort un personnage célèbre, avait fait de progrès au sein de cette jeunesse caressée par tous les sophismes ! Un seul sentit son cœur ébranlé : Épiménès ne dénonça pas ses complices ; il s’ouvrit simplement de ses scrupules à son frère Euryloque.

Semblable confidence pouvait être un arrêt de mort pour l’involontaire receleur du terrible secret ; Euryloque vit soudain se dresser devant lui le fantôme de Philotas. Inquiétude ou loyauté, il prit sur-le-champ son parti, commença par séquestrer son frère et courut chez Alexandre. Le roi était couché ; Ptolémée et Léonatus gardaient le seuil de sa chambre. L’émotion d’Euryloque ne témoignait que trop bien de l’importance de la communication qu’il avait à faire ; on éveille le roi et, sur son ordre, le frère d’Épiménès est introduit. Les complots n’étonnaient plus Alexandre ; néanmoins sa pensée n’eût jamais soupçonné un danger si voisin de sa personne. Euryloque lui révèle les noms des conjurés, le plan si bien mûri de la conspiration. Hermolaüs et Sostrate en sont les chefs ; Callisthène, malgré toutes les précautions dont son austérité sentencieuse s’enveloppe, en apparaît clairement comme l’inspirateur. C’est à lui qu’Hermolaüs est allé porter ses plaintes, c’est lui qui, dans un langage ambigu, au lieu de le calmer, a surexcité l’orgueil blessé de cet enfant. « Souviens-toi, lui a-t-il dit, que tu es un homme. » S’en souvenir ? Et pourquoi ? Pour souffrir l’injustice avec patience ou pour s’en venger ? Quand il y va de la vie d’un roi, quand ce roi tient en ses mains le salut de l’armée, un honnête homme ne devrait-il pas s’exprimer avec un peu plus de clarté ?

Il répugnait cependant à l’élève d’Aristote de faire arrêter le neveu de son maître, de proclamer devant toutes ces natures brutales de soldats que la philosophie n’était qu’une science pernicieuse et vaine, uniquement propre à égarer les esprits. Alexandre était Grec bien plus que Macédonien. Un Macédonien eût pu prendre plaisir à humilier l’éloquence, à la saisir en flagrant délit d’influence malfaisante ; un Grec ne pouvait abjurer aussi facilement le culte de toute sa vie. Callisthène fut simplement placé sous une surveillance discrète et gardé à vue ; les conjurés seuls seraient traduits devant cette redoutable assemblée populaire qui avait condamné, dans la Drangiane, les complices de Dyranus. Le roi voulut interroger lui-même les coupables. Il lui importait de savoir quelles passions agitaient si profondément l’armée, quels sujets de mécontentement, réels ou factices, avaient pu susciter, jusque dans son plus cher entourage, la pensée d’un aussi énorme attentat. Hermolaüs se chargea de parler pour ses compagnons : « Alexandre, dit-il, avait oublié qu’il commandait à des hommes libres ; il n’agirait pas autrement si le ciel