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Tous les griefs du faux sage dont il a reçu les leçons se retrouvent dans les reproches qu’Hermolaüs adresse fièrement au roi. Malgré l’atrocité du forfait qu’il a préparé, Hermolaüs, — je ne veux pas ici m’en défendre, — m’inspire un involontaire intérêt. La jeune âme de bronze ne fléchit pas un instant devant l’attente certaine des supplices. De quel vaillant soldat Callisthène, à son insu sans doute, aura privé la Grèce ! Suivant l’infortuné martyr de ces doctrines étroites que son jeune fanatisme s’est appropriées et probablement exagère : « Alexandre n’est pas seulement coupable envers la patrie dont il délaisse les mœurs, il l’est davantage envers les dieux ; son orgueil sacrilège ne recule pas devant l’imposture. Le fils de Philippe exige que tout genou ploie devant lui ; il ose, sur la foi d’un impudent oracle, se donner pour le fils de Jupiter. » Nous avons de nombreux témoignages de la facilité avec laquelle Alexandre se laissait aller à montrer le cas qu’il faisait lui-même de cette fiction : s’il cherchait à l’accréditer, c’est parce qu’il la jugeait utile, ajoutons presque indispensable, à l’accomplissement de ses grands desseins : « Plût au ciel ! disait-il, que les Indiens n’eussent à ce sujet aucun doute ! » Les malheureux adolescens ne pouvaient guère échapper à leur sort ; nous aurions aimé cependant à pouvoir louer ici la clémence d’Alexandre. Après avoir pris la peine de réfuter l’une après l’autre les accusations d’Hermolaüs, qui semble avoir voulu changer de rôle avec son juge, Alexandre, confondant tous les conjurés dans la même sentence, ordonna qu’on les livrât à leurs compagnons pour que leurs compagnons seuls en fissent justice. Les adolescens indignés les lapidèrent.

Pour bien apprécier les divers sentimens qui doivent, en pareille occurrence, se disputer l’âme d’un souverain, il faudrait avoir été soi-même l’objet de maint complot. Le premier consul n’était certes pas naturellement cruel ; son orgueil se révolta de la légèreté avec laquelle ses ennemis disposaient, dans leurs conciliabules, d’une existence à laquelle étaient attachés tant de grands intérêts. Il voulut leur apprendre le prix de ce sang qu’ils s’obstinaient à vouloir verser et frappa, comme l’a très justement fait remarquer M. Thiers, bien moins par esprit de vengeance que par politique. Ce qui tendrait à prouver, — disons-le en passant, — que les inspirations de la politique ne valent pas toujours celles du cœur.

La conspiration avortée des adolescens venait d’avoir son dénoûment tragique ; il semblait difficile d’y impliquer Callisthène. Les conjurés avaient eu toute liberté pour présenter leur défense ; la plupart se turent, aucun ne dénonça de complice ; tous, au contraire, affirmèrent, dans les tortures mêmes, que Callisthène ne connut jamais leur projet et fut, par conséquent, dans l’impossibilité de s’y associer. Callisthène, toutefois, ne fut pas rendu à la