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les érudits recueillent avec piété tous les lambeaux de documens qui peuvent jeter quelque jour sur la rapide et brillante carrière du beau peintre d’Anvers. L’Italie, qui n’a pu oublier son passage, l’étudie comme un des siens. L’Angleterre, qui lui doit son génie pittoresque, n’a jamais laissé fuir l’occasion de lui témoigner sa reconnaissance : Reynolds s’y est proclamé son fils, Smith y a dressé le premier catalogue de ses œuvres, Horace Walpole, Carpenter, Sainsbury et bien d’autres y ont recueilli les matériaux les plus sûrs pour sa biographie. En France même, où Van Dyck n’a fait qu’apparaître, le culte de sa mémoire s’est perpétué chez tous les écrivains d’art ; de Piles a enregistré sur ses façons de peindre les plus curieux détails ; Mariette a laissé sur son compte quelques-unes de ces notes expressives qui, dans leur brièveté sans apprêt, restent des modèles de science critique appliquée aux choses d’art ; Eugène Fromentin et M. Emile Montégut ont ici même parlé de lui dans les termes les plus pénétrans et les plus émus. Enfin c’est à Paris que viennent de paraître coup sur coup, avec un grand luxe d’impression et de gravures, les deux biographies les plus étendues qu’on lui eût encore consacrées, Van Dyck et ses Élèves, par M. Alfred Michiels, et Antoine Van Dyck, par M. Jules Guiffrey.

Ces deux ouvrages, dont les allures sont très différentes, ont ceci de commun qu’ils sont tous deux le résultat d’une longue enquête vaillamment poussée par une sincère admiration et qu’ils ont tous deux pris pour base un même manuscrit, jusqu’à présent inédit, conservé dans la bibliothèque du musée du Louvre. L’existence de ce précieux document, acquis par l’administration à la vente Goddé en 1851, n’était point inconnue. M. de Montaiglon, dans sa notice sur le musée de Bruxelles, M. de Chennevières dans ses annotations de l’Abecedario de Mariette, M. Charles Blanc dans sa biographie de Van Dyck, en avaient signalé l’importance. Toutefois, nul ne s’était décidé à en faire l’objet d’un travail spécial avant M. Jules Guiffrey, qui le copia en 1865 et prépara dès lors, en vue d’un concours ouvert par une académie de Belgique, le consciencieux ouvrage qui, longuement remanié depuis, étendu et complété par d’incessantes recherches, vient enfin de voir le jour. L’attention de M. Alfred Michiels ne fut attirée que plus tard sur le manuscrit anonyme, car, dans la deuxième édition de sa Peinture flamande, publiée en 1869, on n’en trouve point mention. Ces questions de priorité, dans la découverte ou l’emploi d’un document, nous semblent, à vrai dire, avoir peu d’importance ; les écrivains se jugent sur la valeur et non sur la date de leurs recherches ; les livres s’estiment non au poids des documens qu’on y entasse, mais au prix de la pensée qui s’en dégage. Toutefois, comme on a cru devoir, dans le cas présent, soulever ce débat puéril et que des souvenirs personnels