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dirigeaient encore de loin son élève et l’invitaient à passer par l’école des grands dessinateurs avant de s’abandonner à l’enivrement des grands coloristes ? On l’a supposé sans invraisemblance. Quoi qu’il en soit, dès le mois de février 1622, il débarque à Civita-Vecchia, visite Rome, remonte bientôt à Florence, où il est accueilli par Sustermans, son compatriote, peintre du grand-duc, traverse Bologne, s’installe quelques mois à Venise, puis va faire à Mantoue le portrait de Ferdinand de Gonzague, le fils de l’ancien protecteur de Rubens. Au commencement de l’année 1623, il est de retour à Rome et s’y établit avec la pensée d’y faire un long séjour.

Dès lors, on peut l’affirmer, il s’était assimilé, avec une pénétration singulière, toutes les qualités des maîtres d’Italie qui pouvaient compléter son talent. M. Alfred Michiels a étudié avec une attention spéciale dans ses ouvrages la marque successive des diverses influences qu’il put subir. Ses observations sont souvent fondées. Il ne faut pas toutefois s’exagérer l’impression que produisirent sur l’élève de Rubens l’énergique Caravage et certains Bolonais. Quoiqu’il soit en effet possible de saisir à ce moment chez lui un goût inattendu pour les oppositions violentes et pour les tonalités sombres, ce goût, contraire à sa nature comme à son éducation, ne devait pas durer. C’est une observation plus juste de dire que le génie de Véronèse ne fut pas à Venise moins instructif pour lui que celui de Titien. Si Titien lui apprit la fermeté de l’attitude, la noblesse de l’expression, l’éclat profond des couleurs, la puissance des sacrifices utiles, Paul Véronèse lui inspira le sentiment des attitudes charmantes, l’amour des colorations brillantes et fraîches, le goût des harmonies d’ensemble, enveloppant dans la tendresse d’une lumière délicate les formes adoucies des choses. Quand Van Dyck revint à Rome, il se sentait donc armé de toutes pièces. Il se mit au travail avec cet entrain surprenant qui lui a permis de laisser, partout où il a passé, un nombre à peine croyable de tableaux et de dessins. Le premier portrait en pied qu’il eut à faire fut celui du cardinal Bentivoglio, ancien légat des Flandres. Tous les voyageurs qui ont visité le musée Pitti, à Florence, où cette admirable toile a été recueillie, ont gardé dans la mémoire l’image à la fois grave et brillante de ce prêtre diplomate. La tête maigre et sèche, aux lèvres pincées, aux yeux noirs et pénétrans, toute pâle au milieu des rouges étincelans, — rouge du camail, rouge de la robe, rouge des draperies, — semble avec une vivacité inquiétante poursuivre le spectateur de son regard. Le succès qu’obtint ce chef-d’œuvre attira sur le peintre l’attention générale. Les grands seigneurs anglais, qui déjà visitaient Rome en grand nombre, à l’exemple du comte d’Arundel, recherchant les antiquités et encourageant les artistes, lui témoignèrent un vif intérêt. George Gage, l’envoyé d’Angleterre (encore un ami intime de Rubens) se fit