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Pourbus, mais le passage chez Rubens lui donna, en plus, la flamme étincelante et la chaleur communicative. Dans son commerce prolongé avec ce génie exubérant, le jeune homme, exalté et troublé, put même se croire transformé et s’exagérer sa vigueur. Il s’élança avec l’ardeur de son âge vers les hautes conceptions de l’art historique et religieux. Tous les dessins qui nous restent de cette époque, les esquisses pour l’Arrestation du Christ, pour le Martyre de sainte Catherine, pour le Serpent d’airain, révèlent la surexcitation dans laquelle il vivait alors ; quels déploiemens de mise en scène dramatique, quelles exagérations de mouvemens violens, quelles préoccupations des brusques effets de lumière ! Pourtant, dans ces dessins, jetés à la hâte sur n’importe quel papier, avec n’importe quel instrument, par une main qu’on sent nerveuse et fiévreuse, en réalité rien ne se précise, ni ne s’achève ; le crayon glisse, l’encre coule, les figures s’effilent ; la pensée fuit avant d’être saisie, et, quand l’effort du rêveur a pu dégager, dans un pêle-mêle de formes flottantes, la figure principale entourée de quelques physionomies très expressives mais sans corps, sa volonté est déjà fléchissante et sa force près de succomber. Malgré la puissance d’une éducation singulièrement vigoureuse, on sent que le jeune homme, trop frêle pour porter le poids de longues méditations, n’est vraiment à l’aise qu’en face d’un beau visage exprimant des passions nobles ou des sentimens délicats ; on devine qu’il se surmène lorsqu’il veut, à toute force, grouper, dans des attitudes résolues, des figures entières. Comme les doux poètes et les tendres rêveurs qui réussissent toujours mai à paraître terribles, quand il traite des sujets tragiques, il en exagère gauchement l’horreur. Ses bourreaux sont d’une laideur invraisemblable et peu effrayante.

Le voyage d’Italie eut pour effet de calmer cette exaltation. Ce ne furent pas seulement les Vénitiens, malgré tant d’affinités intimes, qui, à l’abord, s’emparèrent de lui pour l’éclairer et l’apaiser. Les compositions correctes des académiciens bolonais, l’exécution vigoureuse des réalistes lombards, les figures coquettes des praticiens romains l’attirèrent tour à tour par quelques qualités spéciales. Il sera telle de ses œuvres, postérieure au séjour d’Italie, où l’on surprendra encore, bien longtemps après, dans la grandeur ou dans la froideur d’une pose, dans la fermeté ou dans la dureté d’une opposition de couleurs, dans la grâce ou dans l’insignifiance d’une tête, une réminiscence tenace des Carraches, de Caravage, de Pietro da Cortona. Ces influences secondaires, dont il n’eut pas d’ailleurs à souffrir, lui donnèrent le goût des figures bien assises, des ordonnances claires, des distributions décoratives, et lorsqu’il se présenta devant Titien et Véronèse, il en put subir l’éblouissement sans