Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouble. Dans cette voluptueuse séduction de Venise qui décida la floraison de son talent, on ne le voit pas perdre pied un seul instant. Tout en fondant ses couleurs, encore troublées par de vifs éclats flamands, dans l’unité plus grave de ces harmonies calmes et profondes dont Titien venait de lui révéler la puissance, il conserve son dessin résolu et précis, et assure ainsi des dessous toujours fermes et résistans à ces flottantes expansions de lumières dans lesquelles devaient désormais apparaître toutes ses figures parées, comme par une grâce native, d’une élégance indéfinissable. Les femmes de croquis conservées chez le duc de Devonshire, sont un admirable témoignage de la perspicacité avec laquelle il analysait, en un instant, les physionomies les plus diverses et de la décision savante avec laquelle il en résumait, d’un trait sûr, le caractère expressif. M. Guiffrey a fait reproduire plusieurs de ces petites feuilles qui contiennent dix ou douze têtes ; on distingue, du premier coup, quand c’est un portrait, la race, le tempérament, la profession, le caractère, et, si c’est une tête d’imagination, le personnage représenté. On ne saurait pousser plus loin l’intelligence de la figure humaine. Aussi, pour beaucoup d’amateurs, les portraits de cette période italienne, avec leurs contours accentués, leurs expressions décidées, leurs colorations ardentes, restent-ils les meilleurs de Van Dyck ; ils le seraient, en effet, si l’on s’en tenait au nombre des mérites que l’artiste y réunit, sous des influences diverses et souvent juxtaposées.

Durant son séjour en Belgique (1626-1632), nous l’avons vu, il chercha surtout à se mesurer avec ses condisciples, Grayer, Jordaens, Schut et les autres, dans la peinture religieuse. Mais il y apporta cette fois, avec plus d’expérience, une prudence réservée qui contraste avec les tumultueuses ambitions de sa première jeunesse. Dans ses grands tableaux, l’Extase de saint Augustin, les Mariages mystiques de sainte Rosalie et du bienveillant Herman, même dans l’Érection de croix, les personnages sont peu nombreux, groupés côte à côte dans des attitudes bien déterminées. Nul encombrement de mise en scène, peu de contorsions des corps, même lorsqu’une passion violente les secoue et les tend. Il en est de même, à plus forte raison, dans les scènes simples, à deux ou trois personnages, les Madones, Ensevelissemens, Pietà. Souvent même tes ordonnances sont monotones, les gestes convenus, les fonds sacrifiés, les draperies encombrantes ; malgré tant de causes d’infériorité, ces compositions, ou souriantes on pathétiques, restent supérieures par une puissance expressive, séduisante ou poignante, d’une intensité irrésistible ; toutefois, qu’on le remarque, la secousse morale qu’elles donnent part presque toujours d’un