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d’entamer, on eût obtenu aisément le répit nécessaire pour préparer un concert si désirable. Mais c’était précisément le concert dont Frédéric ne voulait pas, parce que c’eût été recommencer avec les Français une série d’opérations combinées dont il n’aurait pu ensuite se dégager à volonté. En affirmant à Valori qu’il voulait être seul à battre les Autrichiens, il disait le seul mot de vérité qui lui fût échappé dans tout l’entretien. Il voulait être seul à vaincre pour être seul aussi à user de la victoire. En réalité, la bataille qu’il allait livrer n’était pas le commencement d’une campagne, mais une phase de la négociation qu’il ne suspendait un jour que pour la reprendre avec plus d’avantage le lendemain.

Sur ce point, il faut le dire, il fut également bien servi et par la fortune des armes et par son génie. La bataille eut lieu le 17 mai, justement suivie de l’effet qu’il désirait, dans la mesure exacte où il lui convenait de se maintenir. Divers indices lui avaient fait comprendre que le but du prince Charles était de tendre directement vers Prague, en se frayant un chemin entre l’armée prussienne et l’armée française et en les séparant l’une de l’autre. Pour lui disputer ce passage, Frédéric vint placer ses troupes en face de l’armée du prince, dans une sorte de demi-cercle, dont la gauche restait à Chrudim, tandis que le centre occupait une plaine marécageuse autour de Clatkau et de Chotusitz et la droite s’étendait jusqu’au petit village de Kuttenberg. Il fermait ainsi complètement au prince la route de Prague. Celui-ci, ne pouvant laisser de la sorte paralyser tous ses mouvemens, dut faire un effort pour forcer la barrière qu’on élevait devant lui. Il attaqua lui-même les lignes prussiennes, et les premières opérations lui furent favorables, car il réussit à culbuter et à mettre en déroute l’aile gauche de l’armée royale. Frédéric vint alors à la rescousse, et, opérant énergiquement sur la droite, répara promptement cet échec et força le prince à se retirer avec perte. L’engagement, bien que n’ayant pas duré plus de trois heures, fut très meurtrier : sept mille hommes du côté des Autrichiens et quatre mille du côté des Prussiens, restèrent sur le champ de bataille. L’armée victorieuse n’avait ainsi guère moins souffert que celle qui battait en retraite. Ce fut la raison que donna Frédéric pour ne pas pousser plus loin son avantage afin d’achever, soit ce jour même, soit le lendemain, la déroute de l’ennemi très démoralisé. Mais la conséquence fut que le prince de Lorraine ne fut nullement inquiété dans sa retraite et qu’il put reprendre à peu près les mêmes positions qu’il occupait avant sa défaite. S’il dut renoncer à marcher droit à Prague, il conserva au moins, ce qui était le plus important pour lui, la pleine liberté de ses communications avec le corps d’armée du prince Lobkowitz. En se portant sur sa gauche pour se joindre à cette division, il pouvait encore